D’un trait d’humeur, Donald Trump a révoqué l’accueil d’étudiants étrangers à l’université Harvard. Même si un tribunal américain a temporairement bloqué cette décision, l’offensive est lancée. En effet, cette décision est le dernier acte de représailles contre les prestigieuses universités privées américaines considérées comme des repères de « wokistes » après la coupe des subventions fédérales (2,7 milliards de dollars pour Harvard).
L’administration Trump estime que les universités américaines dont Harvard se sont transformées en vivier des idées d’extrême gauche ou progressistes et argue de gaspillages massifs dans des programmes de diversité inutiles. Si la décision du président américain brise le rêve de milliers de jeunes étudiants dans le monde, en visant l’emblème du rayonnement des États-Unis dans le monde, elle risque d’écorner un peu plus le « soft power » américain. Théorisé par le politologue de renom Joseph Nye dans les années 80, ce concept fait référence à une diplomatie d’influence ou d’attraction par opposition à une politique de coercition. Dénonçant la décision visant Harvard, la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen a fait valoir que « les étudiants étrangers contribuent à notre économie, soutiennent l’emploi aux États-Unis et font partie de nos outils les plus puissants en matière de diplomatie et de soft power ».
Adepte d’une diplomatie transactionnelle, Trump ne pense qu’en termes de coercition et de paiement. Or, le succès du modèle américain au cours des huit dernières décennies est largement basé sur l’attractivité. Étudier dans un pays, c’est adopter sa culture, parler sa langue, avoir une certaine proximité affective. Ce qui crée des liens au-delà de la sphère du pouvoir et facilite les affaires. Pour preuve, les relations entre le Sénégal et la France débordent largement la coopération entre les deux gouvernements. Les universités américaines attirent chaque année des centaines de milliers d’étudiants étrangers notamment d’Asie. En 2023/24, quelque 1.126.690 étudiants étrangers étaient inscrits dans des universités à travers les États-Unis, un record, d’après des chiffres cités par l’Institute of International Education. Dans l’ordre, l’Inde, la Chine et la Corée du Sud fournissent les plus gros contingents, principalement dans les filières des mathématiques, de l’informatique et de l’ingénierie. S’il y a de plus en plus d’étudiants sénégalais qui choisissent désormais le Canada, les États-Unis, la Chine ou le Japon, l’écrasante majorité privilégie encore l’ancienne puissance coloniale.
Selon les données de l’ambassade de France au Sénégal, il y a près de 15.200 étudiants sénégalais en France dont 5.200 qui ont rejoint la France l’année dernière. Un chiffre bien supérieur aux 1.310 étudiants répertoriés en 2014. Beaucoup d’entre eux y vont très jeunes. Ce qui les expose au choc culturel, au racisme et parfois à la dépression (le cas de Diary Sow). Conscient de ces enjeux, l’État du Sénégal a lancé en 2022 des Classes préparatoires aux grandes écoles (Cpge), une initiative visant à apporter une solution aux parents désireux d’offrir à leurs enfants une formation d’excellence au Sénégal.
« Les Cpge ont pour valeur ajoutée pour notre pays de former de nouveaux profils d’élèves ingénieurs, des profils complémentaires de ceux des bacheliers recrutés par les écoles d’ingénieurs sénégalaises. C’est une richesse pour nos entreprises locales », expliquait le Pr Magaye Diop, directeur général des Cpge, dans un entretien accordé au « Soleil », précisant que le taux de réussite pour la première promotion est d’environ 83%. C’est d’abord un enjeu de souveraineté. Une façon de limiter la fuite des cerveaux – sur les milliers de jeunes sénégalais qui partent étudier à l’étranger peu d’entre eux reviennent participer au développement du pays alors que l’État a dépensé beaucoup d’argent pour les former. Or, ce sont les plus brillants. Ensuite, c’est une façon de préparer ces jeunes et de les armer psychologiquement à faire les bons choix avant de les laisser affronter le monde. seydou.ka@lesoleil.sn