Au Sénégal, les annonces fortes ne manquent jamais. Les décisions pertinentes, les projets ambitieux, les politiques audacieuses abondent. Mais un même spectre revient hanter notre gouvernance : le manque de suivi. C’est un mal profond, récurrent, presque culturel.
Et il resurgit aujourd’hui encore, à la faveur des opérations de désencombrement menées à travers le pays sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Mouhamadou Bamba Cissé. Depuis que ce dernier a décrété la fin de l’occupation anarchique de la voie publique, les grandes villes respirent à nouveau. À Keur Massar, à Mbour, à Ndioum ou encore à Thiès, des opérations musclées ont été menées pour libérer les trottoirs, fluidifier la circulation et restaurer l’ordre urbain.
Le Sénégal semblait enfin renouer avec une idée simple : celle d’un État qui décide, agit et fait respecter ses décisions. Mais l’expérience nous enseigne une autre vérité : l’action sans suivi est un feu de paille.
Un volontarisme politique indéniable
Il faut saluer la détermination du ministre Bamba Cissé et des autorités locales. Partout, on a vu des préfets à pied d’œuvre, des brigades mobilisées, des collectivités associées. À Keur Massar, le marché central – jadis symbole du désordre urbain – a été totalement reconfiguré. Sous la vigilance des gendarmes, les trottoirs sont redevenus des trottoirs, les voies sont dégagées, et les riverains savourent un cadre de vie plus sain.
Les habitants reconnaissent que le désordre d’hier mettait tout le monde en insécurité. Les malfaiteurs profitaient de la congestion.
Même satisfaction à Ndioum, où le préfet Matar Diop a personnellement dirigé les opérations, accompagné des forces de sécurité et des élus municipaux. Ici, la démarche est méthodique : libérer les trottoirs, réorganiser les espaces marchands, encourager la formalisation des petits entrepreneurs, tout en envisageant la création d’un village artisanal.
On pourrait presque y voir un modèle de coordination entre État, collectivités et forces de l’ordre.
Déjà, les vieux démons du relâchement
Le problème, c’est que le temps use la rigueur. À Mbour, à peine 72 heures après la libération des axes principaux, les mêmes scènes d’encombrement réapparaissent. Les tables de légumes, les chariots, les marchands ambulants reprennent doucement possession du terrain. La mairie parle de « plan Xal Yoon » pour assurer le suivi, mais les réalités montrent que les contrôles s’espacent, la vigilance faiblit, et le désordre s’installe de nouveau.
À Thiès, la résistance s’organise ouvertement. Les commerçants déguerpis évoquent le manque de sites de recasement. Et à défaut de solutions durables, ils reviennent. Le rond-point Sam et ses alentours, nettoyés à grand renfort de moyens, sont à nouveau pris d’assaut. Pourtant, des marchés comme Sofraco ou Mbour 2, bien aménagés mais désertés, pourraient accueillir ces marchands. Là encore, le problème n’est pas la décision, mais le suivi et l’accompagnement.
Le suivi, maillon faible de la gouvernance sénégalaise
Ce scénario n’est pas nouveau. Il résume un paradoxe national : l’énergie déployée pour “lancer” une action n’est jamais égalée par celle consacrée à sa “pérennisation”.
L’État décrète, la presse relaie, la population applaudit… puis oublie.
Les autorités locales promettent, mais sans mécanismes d’évaluation, de contrôle ni de maintenance. Et le citoyen, souvent spectateur, finit par s’accommoder du retour du désordre.
Le suivi, pourtant, c’est l’âme de l’action publique. C’est lui qui distingue une mesure symbolique d’une réforme durable. Il exige constance, coordination et redevabilité. Il suppose que chaque acteur — État, commune, force de sécurité, population — assume sa part de responsabilité.
À Keur Massar, la présence quotidienne des gendarmes prouve qu’un suivi rigoureux peut transformer durablement un espace urbain. À Mbour ou Thiès, le relâchement du contrôle illustre l’inverse. Ces contrastes dessinent un enseignement simple : aucune réforme ne tient sans continuité.
Le suivi n’est pas une étape finale, c’est un processus permanent. Il ne s’improvise pas ; il se structure. Il doit devenir une culture collective – dans nos administrations, nos municipalités, nos quartiers, nos habitudes citoyennes.
Car il ne suffit pas de déguerpir, d’assainir, de réorganiser. Il faut suivre, corriger, entretenir, et durer. C’est à ce prix que le Sénégal cessera de recommencer ce qu’il a déjà fait, et qu’il transformera ses bonnes intentions en véritables progrès.
Mouhamadou Moustapha SY
* Juriste-publiciste,Conseiller municipal à Keur Massar Sud
Email : syhamdou@gmail.com


