Le faux-monnayage prend des proportions inquiétantes au Sénégal. Les saisies de faux billets et d’intrants tels que le mercure et les billets noirs continuent de faire les choux gras de la presse presque au quotidien. Les malfaiteurs rivalisent d’ingéniosité, plutôt de malice, avec une bonne dose de surnaturel ou de mystique, comme pour attester que ce serait une activité trop mystérieuse pour nous, simples humains.
Dans le passé, ces pratiques « mystico-maléfiques » portaient sur quelques milliers ou millions de nos francs, mais aujourd’hui, les faux-monnayeurs misent sur des milliards de FCfa de gains et parfois sur des devises fortes comme le dollar ou l’euro. En février dernier, les services de sécurité ghanéens ont saisi 12 containers maritimes bourrés de faux dollars et cédis et de lingots d’or, dans la région du Grand Accra. Au Sénégal, la Douane a mis la main, en avril dernier, sur de fausses coupures d’une contrevaleur estimée à 6,744 milliards de FCfa. En Afrique centrale, le coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé révélait que la Rdc est devenue une plaque tournante de la fabrication, du transit et de la distribution de faux dollars, menaçant l’économie locale et des pays voisins. Si certains se font prendre, d’autres réussissent à passer entre les mailles du filet, injectant des quantités de faux billets dans l’économie. Une pratique qui n’est pas sans conséquences.
La mise en circulation massive de signes monétaires contrefaits peut déstabiliser toute l’économie d’un pays. Dans le passé, des États en sont arrivés à en faire une arme en inondant l’économie d’un ennemi avec de fausses coupures de banque. Dans une opération de déstabilisation de la Guinée sous Sékou Touré, après son indépendance en 1958 suite à son fameux « Non » au Général de Gaulle, Maurice Robert, chef du secteur Afrique au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece), avoua la stratégie utilisée pour déstabiliser ce pays. « Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l’opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l’économie », comme il le raconta au « Monde diplomatique ». L’arrivée massive de fausses coupures dévalorise la monnaie et par conséquent les usagers s’en méfient comme de la peste. Aussi, le gonflement de la masse monétaire causé par l’afflux de faux billets peut générer une inflation galopante difficile à maîtriser. Le phénomène finance souvent des activités criminelles de grande envergure (trafics de stupéfiants, d’êtres humains, terrorisme, etc.). Les principales victimes sont les commerçants, les entreprises et les consommateurs.
Une fois le papier sans valeur accepté dans une transaction, ils perdent la marchandise ou le service échangés. Et se retrouvent avec des coupures qu’ils ne peuvent pas réinjecter dans le circuit financier, sous peine de tomber sous le coup de la loi. Une psychose peut alors rapidement s’installer, créant une méfiance vis-à-vis de certaines coupures comme les billets de 5.000 ou 10.000 FCfa. Et malheureusement, peu d’entre nos commerçants sont équipés de détecteur de faux billets. Ils se contentent juste de visualiser à l’œil nu les signes distinctifs du billet douteux (filigrane, bande holographique, texture au toucher, etc.). Face aux menaces, chaque État cherche à sécuriser sa monnaie par des moyens technologiques très coûteux. En 2021, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) a dépensé 46 milliards de FCfa pour la fabrication et le transport de billets et pièces dont 38,2 milliards de FCfa pour l’achat des signes monétaires afin d’assurer en permanence la circulation des signes monétaires de qualité. L’avènement de nouvelles technologies graphiques a renforcé la clé de sécurité des billets, mais a aussi permis aux faussaires de placer la barre haut dans l’imitation des signes monétaire. Le développement de nouveaux moyens de paiement comme la monnaie électronique semble être le rempart. u