Pour une fois, nous sommes tentés d’être d’accord avec le président américain. Il disait, récemment, de faire quelque chose. « On doit aller voir Bill Gates et plusieurs personnes qui comprennent réellement ce qui se passe et leur demander de fermer Internet dans certains endroits. »
Loin de nous d’être contre le progrès, mais au rythme où les choses évoluent sur la toile, nous fait rallier, exceptionnellement, à la réflexion de Trump. Internet crée un fossé abyssal, exacerbant les oppositions, renseignant sur le niveau de division qui prévaut actuellement au sein de la société.
Le constat de l’italien Umberto Eco (je le considère comme le plus grand théoricien du monde virtuel) par la justesse de son constat sur les réseaux sociaux. Bien qu’implacable, il est d’une justesse prodigieuse, d’une placide lucidité. « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. »
Les réseaux sociaux sont utilisés pour diffuser des contenus haineux, offensants ou inappropriés. Et la demande du controversé président américain a le mérite d’être une piqûre de rappel sur les dérives notées sur la toile. Et en y repensant, l’envie de se replonger dans un monde ante, non-connecté, mais non moins heureux et plus paisible, devient grande. Avec les réseaux sociaux, le sentiment de peur nous habite quant à l’usage que nous faisons de ces plateformes. Cet usage questionne. Sommes-nous préparés à cette révolution ? Apparemment non.
Et on rejoint Eric Schmidt quand il dit que « Internet est aujourd’hui la première chose que l’homme a créée sans la comprendre, c’est la plus grande expérience en matière d’anarchie jamais réalisée ». Avec ses milliers, millions ou milliards d’« araignées », la toile donne à voir des prises de positions antinomiques et souvent en déphasage avec les réalités culturelles et sociétales. Dans notre beau pays, elle est devenue un baromètre sur le degré d’inimitié. Certains y déversent toute la journée leurs insanités voire leur haine. Et si seulement cela pouvait se limiter au seul monde virtuel, on aurait pu s’en satisfaire. Malheureusement, la violence a dépassé l’univers virtuel et s’incruste dans notre quotidien.
L’actualité nous fournit d’amples exemples. À la radio, à la télé, les débats donnent à observer souvent des querelles de bas étage. Désolant et affligeant de voir les protagonistes se distinguer non pas par la force de leurs arguments, mais par la vacuité de leur discours. Un cirque de vulgarité sauf que le spectacle n’est pas amusant, risible.
À voir le comportement de nombre de politiques, défendant leur leader et non le Sénégal ou une vision politique, l’on renonce à toute idée d’engagement politique qui devrait pourtant animer tout citoyen. Il est fréquent que les militants défendent à tout-va les positions les plus intenables. Sans alimenter le débat sur la qualité de chroniqueur, les professionnels des médias sont interpellés sur les contenus de leurs supports, la qualité et le choix des invités ou la conduite d’une émission.
Avec le spectacle qui nous est offert au quotidien, le Sénégal est en train de perdre, si ce n’est déjà fait, son âme, son identité, sa particularité. Une identité qui nous était enviée parce que les Sénégalais se retrouvaient toujours autour de l’essentiel. Or, la construction de ce pays requiert que l’on se penche sur les grands sujets conformément à la citation attribuée à Socrate, Henry Thomas Buckle, Eleanor Roosevelt : « Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens ». Mais il y a plus grave encore. La violence verbale est devenue physique. Ce qui n’augure rien de bon. Il semble même que nous avons atteint, dans ce beau Sénégal où le vivre-ensemble est chanté, un point de non-retour. La fracture est plus que prononcée qu’on ne le pense.
Et nous devons nous tous nous sentir concernés par ces sujets majeurs portant sur la sécurité et notre vécu. Trois récents évènements alertent dangereusement : les braquages aux hôtels « Les Manguiers », un établissement situé dans le village de Guéréo sur la Petite-Côte, Riu Baobab, joyau touristique de Pointe Sarène et à Ouakam, près du Monument de la Renaissance, le mardi 25 mars dernier. Cette dernière attaque a permis à un gang d’emporter la somme de 100 millions de FCfa. Pour l’hôtel Baobab, le butin s’élève à plus de 12 millions de FCfa. Une quinzaine d’individus lourdement armés et encagoulés ont pris d’assaut les lieux vers 3 heures, neutralisant le personnel avant de s’emparer de 9,48 millions de FCfa à Guéréo.
Ces évènements sont survenus dans des endroits censés être non vulnérables, puisque protégés et dans la journée à Ouakam. De quoi interpeller les populations sur l’insécurité, les autorités sur les mesures sécuritaires à renforcer. Mais surtout, il faut refréner les ardeurs de ceux qui versent dans un débat non constructif. Ne soyons pas seulement dans ce monde virtuel, « rendez-vous des chercheurs, mais aussi celui de tous les cinglés, de tous les voyeurs et de tous les ragots de la terre ». Faisons face à notre réalité pour l’améliorer. ibrahimakhalil.ndiaye@lesoleil.sn