C’est l’une des grandes innovations – et l’une des plus controversées – du nouveau Code général des impôts. Adopté récemment par l’Assemblée nationale, le texte introduit la fiscalisation des services financiers numériques (Sfn), un secteur qui, depuis une dizaine d’années, connaît une croissance fulgurante en Afrique de l’Ouest. Désormais, chaque transfert d’argent via mobile money ou paiement marchand est assujetti à une taxe de 1 %. Jusqu’ici, cette imposition ne concernait que les paiements supérieurs à 100.000 FCfa. Avec le nouveau Code, plus de seuil ni de plafond : la taxe s’applique à tous les paiements électroniques, du plus modeste au plus important.
En parallèle, une nouvelle taxe sur les opérations de transfert d’argent – la TTA – est instaurée. Son taux est fixé à 0,5 %, avec un montant plafonné à 2.000 FCfa par transaction. Le texte précise que cette taxe « s’applique à toutes les opérations de transfert réalisées par tout moyen ou support technique laissant une trace, notamment par voie électronique, téléphonie mobile, télégraphique, télex ou télécopie, y compris le transfert postal ». Elle concerne également les paiements effectués via code marchand : ainsi, lorsqu’un consommateur règle un achat de 1.000 FCfa à l’aide d’un QR code, l’opérateur prélève 0,5 % de la somme. Dans le cas des transferts classiques, la taxe grimpe à 1 %, quel que soit le montant en jeu.
Résumé simple : aussi bien le transfert que le paiement marchand deviennent imposables. Ces dispositions suffisent à susciter une onde d’inquiétudes parmi les opérateurs comme parmi les usagers. Car si l’État justifie la mesure par une volonté de renforcer sa collecte fiscale pour financer ses programmes de développement, les acteurs du secteur redoutent qu’un tel choix n’enraye la dynamique d’inclusion financière laborieusement construite ces dernières années. Il faut rappeler qu’au Sénégal, le taux de bancarisation reste faible : à peine 26 % en 2024, selon les chiffres officiels. Le mobile money est venu combler ce déficit en ouvrant aux populations non bancarisées un accès simple et rapide aux services financiers de base. D’après l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), moins de 30 % de la population possède un compte bancaire classique. En revanche, selon la Direction générale de la planification et des politiques économiques, 86,35 % des personnes âgées de plus de 15 ans détenaient déjà un compte de monnaie électronique en 2024.
En l’espace de quelques années, le téléphone portable est devenu un véritable guichet bancaire de poche, transformant les habitudes de millions de Sénégalais. Dans ce contexte, de nombreux spécialistes jugent qu’alourdir le coût des transactions par de nouvelles taxes risque de casser cet élan. Les opérateurs, de leur côté, craignent que l’usager ne devienne l’« agneau du sacrifice ». Car, dans la pratique, la taxe est généralement répercutée sur les tarifs et supportée par le client final.
De plus, les critiques rappellent que la digitalisation des services financiers ne profite pas seulement aux individus. Elle contribue aussi à l’efficacité de l’économie dans son ensemble : formalisation des échanges, sécurisation des transactions, lutte contre le blanchiment et l’économie informelle. Taxer trop lourdement ce secteur reviendrait à affaiblir un levier stratégique de modernisation. Face aux inquiétudes, les opérateurs avancent une piste alternative : plutôt que de taxer directement les transactions, ce qui touche les consommateurs de plein fouet, pourquoi ne pas imposer les revenus des sociétés de mobile money à hauteur de 2,5 % ? Derrière ce bras de fer se cache une équation délicate : comment concilier l’impératif budgétaire d’un État en quête de financements et la préservation d’un secteur vital pour l’inclusion financière ? La réponse, encore incertaine, déterminera en grande partie l’avenir du mobile money au Sénégal. Pour l’heure, la controverse enfle, et une chose est sûre : la fiscalisation des services financiers numériques ne fait que commencer à faire jaser. oumar.fedior@lesoleil.sn