Il n’y a pas de secret : tous les pays aujourd’hui riches ont procédé de la même façon, en comptant sur leurs ressources internes et en collectant taxes et impôts pour financer leurs infrastructures de développement. Et c’est tout le monde qui a été mis à contribution : petits et grands, hommes et femmes, riches et pauvres, cadres et subalternes. Tous ont participé à l’effort de financement, patriotiquement, sans faire beaucoup de bruit. Car, dans ces pays, les citoyens ont très tôt compris que personne ne le ferait à leur place.
Ce qui n’est pas encore le cas en Afrique, où les mentalités n’ont pas beaucoup évolué. Nombreux sont encore les contribuables qui pensent qu’ils peuvent tout avoir : boire et manger, bénéficier de bonnes routes, d’hôpitaux et d’écoles de qualité, se vêtir, jouir d’un cadre de vie agréable… sans mettre la main à la poche. Or, toutes ces infrastructures, indispensables à notre épanouissement collectif, demandent de l’argent. Beaucoup d’argent, qui ne tombe pas du ciel et qui doit être mobilisé. Par qui ? D’abord et avant tout par nous, les contribuables. Penser qu’on peut sortir de la pauvreté sans mobilisation des ressources internes est une énorme erreur. On ne réinvente pas la roue. Pour sortir de sa situation actuelle, changer sa structure économique et se développer, le Sénégal – comme tous les autres pays encore sous-développés – n’a pas le choix : il doit emprunter la même voie qu’ont suivie les pays riches, en mettant en place une politique fiscale efficace.
Voilà pourquoi le débat qui a suivi la présentation du Plan de redressement économique et social par le Premier ministre Ousmane Sonko est difficile à comprendre. On a entendu ici et là que le régime veut « sucer » les Sénégalais. Certains journaux ont même rivalisé d’imagination pessimiste dans leurs titres : « Pros (Président Ousmane Sonko) presse le Sénégal », « Diomaye et Sonko sortent le Plan “Adu Kalpé” », « Les ménages éprouvés vont payer la note du Plan de Sonko », « Matraquage fiscal généralisé ». Ces appréhensions sont compréhensibles : les questions fiscales sont sensibles parce qu’elles touchent à la souveraineté. Et le contexte économique difficile ne plaide pas en faveur d’une hausse de la contribution des ménages vulnérables. Mais les mesures annoncées sont utiles et nécessaires pour bâtir un Sénégal nouveau, prospère et souverain.
Le message, simple mais ô combien important, adressé à chaque Sénégalais par le Premier ministre, peut se résumer ainsi : le pays ne peut plus se contenter uniquement de l’aide publique internationale ou de l’endettement pour financer son développement. Il faudra désormais compter sur l’épargne nationale, les taxes et les impôts domestiques pour changer le destin du Sénégal et des Sénégalais. Ousmane Sonko sera-t-il entendu et suivi ? Difficile à dire. Toujours est-il que le potentiel fiscal du Sénégal est considérable. Il faudra simplement se faire comprendre et disposer d’un appareil administratif capable d’en tirer pleinement les bénéfices. L’enjeu est énorme : d’après les données récentes publiées par diverses institutions internationales, la pression fiscale moyenne en Afrique se situe généralement autour de 15–18 % du Pib, contre des niveaux souvent supérieurs à 30 % dans de nombreux pays de l’Ocde.
Certaines économies africaines – le Nigeria en tête – affichent des ratios impôts/Pib particulièrement bas (souvent inférieurs à 10 % selon les dernières données disponibles). Plusieurs experts estiment qu’une pression fiscale durablement supérieure à 20 % du Pib est, dans de nombreux cas, nécessaire pour financer efficacement les services publics et un développement soutenable. C’est dire le fossé qu’il reste à combler, et les nombreuses niches fiscales encore à explorer. Mais il y a un préalable : les nouvelles autorités doivent rassurer les citoyens par une gestion exemplaire des deniers publics. Si les Sénégalais sont convaincus que l’argent collecté sera dépensé dans leur intérêt social et économique, il est probable qu’ils accepteront de faire encore des sacrifices. Sur ce point, Diomaye et Sonko ont clairement indiqué qu’ils ne badineront pas avec l’argent public. Aux contribuables donc de faire confiance et de se mobiliser, en gardant à l’esprit que c’est avec l’impôt des Sénégalais que le Sénégal de nos rêves financera son développement. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn