Il faut s’y aventurer à l’aube, quand le vent soulève encore la fraîcheur de la nuit et que les chants d’oiseaux composent leur symphonie. Alors, on comprend que la forêt classée de Mbao n’est pas un simple amas d’arbres, mais un poumon vivant, un sanctuaire d’ombre, un refuge silencieux dans la frénésie dakaroise. La visite du Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, samedi 2 août 2025, a braqué à nouveau les projecteurs sur ce site en péril. Un déplacement, en prélude de la Journée nationale de l’arbre, qui donne pourtant à voir une réalité plus inquiétante : l’autorité semble de plus en plus perdre la mainmise sur cet espace vital.
Gare à l’automobiliste en panne à proximité de la forêt : le lendemain, il risque de retrouver son véhicule entièrement dépouillé. C’est de notoriété publique que des agresseurs y ont pignon sur rue. Ce qui devait être un havre de biodiversité est devenu un haut lieu d’insécurité, un terreau fertile pour la délinquance. Mais, Monsieur le Président, ces faits ne sont que la partie émergée de l’iceberg. On pourrait même dire : l’arbre qui cache la forêt. Car depuis une décennie, près de 20 % de la pression urbaine de Dakar s’exerce sur cette zone, selon les données de la Direction des eaux et forêts, chasses et conservation des sols.
Dépotoir clandestin en devenir, la forêt risque de se transformer en un Mbeubeuss bis. À elle seule, la fragmentation du territoire forestier a déjà entraîné la perte de 15 % de sa superficie. Et l’avancée du front agricole s’accélère dangereusement : entre 2006 et 2025, les superficies agricoles dans la zone sont passées de 44,73 hectares à 173,18 hectares ! Entourée par les communes de Boune, Petit Mbao, Grand Mbao et la route nationale numéro 1, la forêt classée de Mbao n’a cessé d’être grignotée, profanée, morcelée. Des pans entiers sont livrés au béton, des sentiers jadis ombragés deviennent des pistes de poussière. À mesure que l’urbanisation avance, la forêt recule. Et avec elle, c’est tout un équilibre écologique qui vacille. 3,5 km pour le Train express régional, 3,6 km pour l’autoroute à péage : le poumon vert de la capitale étouffe. Il donne beaucoup, mais ne reçoit rien en retour. Les promoteurs immobiliers rôdent, les déchets plastiques s’y infiltrent. La surface forestière est ainsi passée de 815 hectares en 1940, au moment de son classement, à 704,45 hectares en 2025. Et pourtant, malgré ces agressions, la forêt continue de respirer, de résister. Elle oppose à l’avidité le bien commun, à l’amnésie écologique une mémoire verte. Elle incarne une lutte silencieuse pour l’air que respireront nos enfants, pour le droit à la fraîcheur, au silence, à l’émerveillement. Alors, que faire ? Protéger ce qui reste. Appliquer strictement les lois existantes. Réhabiliter ce sanctuaire naturel. Car sauver Mbao, ce n’est pas simplement préserver un décor, c’est défendre une cause : celle d’un avenir habitable.
Dernier et désormais plus important poumon vert de Dakar, la forêt classée de Mbao doit survivre aux pressions titanesques qu’elle subit. Le Plan d’aménagement en cours de révision représente un outil clé pour une gestion durable de cette forêt. Il incarne un espoir prometteur pour le renforcement de sa résilience. Mais il se heurte au manque chronique de financements pour les projets qu’il porte. Et pourtant, préserver la forêt classée de Mbao, c’est préserver Dakar de l’asphyxie.
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