L’Afrique est le continent des paradoxes, et cela explique, en partie, son sous-développement. C’est un riche qui « offre » sa richesse au reste du monde presque pour des broutilles, et se morfond, en retour, dans la dépendance à l’extérieur. L’exemple du coton illustre encore cette incongruité.
On a un continent exportant l’essentiel de sa production d’or blanc et qui, dans le même temps, continue à importer des vêtements d’occasion pour s’habiller. Et dans ce lot, il y a la friperie, ces habits usagés qui retrouvent une seconde jeunesse sous les tropiques. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Contrairement à ce que l’on pense, l’histoire de ces vêtements usagés n’a pas comme point de départ l’Afrique. Au lendemain de la 2nde Guerre mondiale, l’Europe était si ruinée qu’elle peinait à habiller correctement sa population. Il a fallu que les États-Unis volent à son secours pour la relever. Et dans cet élan de solidarité américaine, il y avait des dons de vêtements usagés au profit des Européens, qui avaient vu leur pouvoir d’achat dégringoler. Une fois le Vieux continent remis de la guerre grâce au plan Marshall, le flux vestimentaire humanitaire a pris une autre direction : l’Afrique.
C’est ainsi que les organisations caritatives ont arrosé le continent d’habits indésirables dans les armoires des Occidentaux, convertis à la religion de la surconsommation en toute chose. Comme en Europe de l’après-Guerre, ces vêtements bas de gamme symbolisaient la misère. Il y a quelques décennies, porter du « feug diay » ou « Fd » renvoyait à la pauvreté, avec son corollaire, être la risée de ses camarades. Mais au fur et à mesure, l’aspect humanitaire, pour ne pas dire caritatif, a cédé la place au business. Non seulement la friperie a retrouvé une seconde vie, mais elle a gagné en valeur. Face à la forte demande, les prix ont grimpé jusqu’à ce que des firmes occidentales s’installent en Afrique pour mieux organiser le sous-secteur. Qu’est-ce qui s’est donc passé entre temps pour que ces fringues indésirables ailleurs occupent aujourd’hui le haut du pavé ? D’abord, il y a eu le déclin de l’industrie textile dans la plupart des pays africains. Les politiques libérales, imposées par les programmes d’ajustement structurel, sonnent alors le glas d’usines telles que le fleuron sénégalais Sotiba.
Le marché est alors inondé de tissus importés plus compétitifs en provenance d’Asie, mais aussi de friperie déversée par l’Europe. En 2021, le continent a dépensé 1,8 milliard de dollars de vêtements de seconde main, selon la plateforme Texpro. La création ou la réouverture d’usines textiles n’a pas eu l’effet escompté à cause de la concurrence, entretenue surtout par l’adoption de la mode occidentale par les Africains. Si dans le passé on achetait de la friperie à bas prix pour des raisons économiques, aujourd’hui les jeunes de Dakar de tous sexes se ruent au « Marché samedi » pour être « in », selon les standards vestimentaires occidentaux. Il suffit d’un passage chez le blanchisseur du coin pour se fondre dans la masse des branchés. Et toutes les couches sociales y trouvent leur compte. Malheureusement, nos pays n’ont pas réussi à répondre à ce besoin de paraître des jeunes en leur proposant des produits adaptés et à la portée de leurs bourses. L’industrie de confection africaine (y compris les entreprises implantées par les investisseurs étrangers) s’est plus focalisée à satisfaire la forte demande extérieure, notamment à saisir l’opportunité que constitue l’Agoa, une loi de franchise de droits de douane américaine en faveur de l’Afrique.
L’annonce de l’interdiction d’exporter les matières premières textiles faite par le ministre de l’Industrie et du Commerce, Serigne Guèye Diop, en décembre dernier, illustre ce souci de protéger les acteurs du textile et de l’habillement sénégalais, dans un continent qui exporte 90% de sa production. Les États africains ont l’opportunité de redonner un second souffle à leur industrie textile en régulant ou en interdisant les importations de vêtements de seconde main. Une décision qui ne sera pas facile à prendre dans un contexte économique difficile, mais qui pourrait s’imposer à nos États dans le long terme. D’autant plus que les tenues africaines, alliance de tradition et de modernité, en vogue ici et ailleurs, ouvrent un boulevard d’opportunités. malick.ciss@lesoleil.sn