France Médias Monde, maison-mère de France 24, Rfi et Tv 5, a lancé, en septembre 2025, à Dakar un média innovant : Zoa. Ce média 100% numérique, animé par de jeunes journalistes africains, vise à offrir à la jeunesse du continent un espace inédit d’expression et de visibilité, en cassant les codes traditionnels et classiques de transmission de l’information.
Le choix des thématiques abordées (sport, santé, entreprenariat, culture, environnement) et leur présentation dans des formats courts, informatifs et ludiques, renseigne sur l’ingéniosité des initiateurs. Mais aussi leur pragmatisme. En effet, en extirpant l’actualité politique de l’Afrique du champ éditorial, ils veulent ménager les autorités africaines qui veulent imposer une « souveraineté médiatique », c’est-à-dire contrôler le récit médiatique dans leurs pays. Se voulant avant tout « un projet éditorial qui raconte l’Afrique à travers sa jeunesse », Zoa vise donc à reconstruire le lien brisé entre la France et la jeunesse africaine, tout en s’aménageant un espace de liberté. L’initiative marque aussi la fin d’une époque : celle de la toute-puissance des médias français en Afrique francophone.
Jusqu’à une époque très récente, les médias français se comportaient en terrain conquis sur le continent. Ce sont eux qui, dans une certaine mesure, faisaient, défaisaient les carrières politiques et définissaient l’agenda setting. C’était l’époque où un président africain, tout-puissant soit-il, se faisait malmener par Christophe Boisbouvier sur Rfi. Il y avait quelque chose de comique et de tragique de voir ces potentats locaux, qui snobaient la presse locale, se comporter comme des poules mouillées devant l’intervieweur vedette de la radio française. C’était l’époque où Rfi, à travers l’émission « Appel sur l’actualité », animée par le célèbre Juan Gomes, était le mur des lamentations, le réceptacle des peines et des rêves de la jeunesse africaine. Interdits dans les pays du Sahel dirigés par des juntes militaires (Mali, Burkina, Niger), ces médias, perçus comme inféodés au Quai d’Orsay, ont beaucoup perdu de leur influence.
Évidemment, ce n’est pas une exception française – toutes les grandes puissances ont déployé, à un moment donné, une stratégie d’influence à travers leurs grands médias – mais la particularité de Paris, c’est d’abord d’avoir bâti et maintenu pendant deux siècles un véritable « empire médiatique » en Afrique francophone. Dans sa contribution à l’ouvrage collectif « Les médias en Afrique depuis les indépendances : bilan, enjeux et perspectives » (L’Harmattan, 2018, sous la direction de Ndiaga Loum et d’Ibrahima Sarr), Tidiane Dioh revient sur la « Grandeur et décadence » de l’empire médiatique français en Afrique. Il situe la fin de cet empire, qui a débuté en 1798 avec la publication des premiers journaux en langue française en Egypte, en 2014 avec la cession des activités de l’Agence internationale de télévision (Aitv), dernier visage de la coopération audiovisuelle entre la France et l’Afrique.
Au fur et à mesure que se développe le sentiment anti-français, l’influence des médias français a diminué en Afrique. Mais comme on l’a vu avec Zoa, Paris a une grande capacité d’adaptation à l’évolution de la situation politique sur le continent. Hier comme aujourd’hui, les médias français profitent du vide ou de la faiblesse des médias locaux pour capter l’attention du public. Et c’est là où nos États commettent une erreur stratégique. En fragilisant les médias locaux, ils se privent d’outils indispensables pour la construction d’un récit national conforme aux enjeux du moment. Ce mouvement de réforme médiatique doit d’abord venir des rédactions. Mais c’est aux gouvernements de fixer le cap et de mettre les moyens. Même les autocraties ont compris l’enjeu, en créant des médias dont le discours est strictement contrôlé. Pour une démocratie comme le Sénégal, le défi est double : aider à l’émergence de médias solides et crédibles, sans les inféoder au pouvoir.
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