Chaque matin, en bon « goorgorlou », je me rends au garage du coin, juste à côté de la station-service. Là se regroupent des hommes, vieux ou moins jeunes, souvent la soixantaine bien entamée.
Ils organisent le transport en commun des usagers comme moi : ni propriétaires de véhicules, ni assez fortunés pour se payer un taxi, mais pas totalement démunis non plus pour devoir monter dans un car rapide.
Toute la semaine, dès l’aube, les voilà qui débarquent, chasubles rouges et blanches bien visibles sur une tunique traditionnelle, souvent fatiguée mais toujours digne. Ce sont nos vaillants « coxeurs » rabatteurs. Pas propriétaires de véhicules, certes, mais débrouillards jusqu’au bout des sandales. Ils ont bâti un petit système autour du transport urbain.
Ils sollicitent des « particuliers » : des conducteurs sans licence, souvent salariés de l’administration ou d’entreprises privées du centre-ville, prêts à combler des fins de mois difficiles dans une conjoncture compliquée, avec des salaires étouffés par le poids des charges. En dehors de ces parti- culiers, nos « coxeurs » négocient aussi avec des taximen, leur proposant une clientèle déjà prête à embarquer, pour des trajets parfois longs, parfois courts, parfois improbables.
Nos « coxeurs » ont leur langage, leur folklore. Ils jurent toujours au nom du « grand marabout » – leur marabout. Et malgré leur âge avancé, ils ont l’injure facile, le sang chaud et la langue bien pendue.
Le garage, c’est leur royaume. Une sorte de zone de non-droit – ou plutôt de droit parallèle – où ils édictent leurs propres lois, tacitement admises par tous. Même par les hommes en tenue, qui n’y font souvent que de la figuration.
Disputes et bagarres y sont fréquentes : entre « coxeurs », entre chauffeurs, entre clients… et parfois entre tout ce petit monde à la fois. Les raisons ? La monnaie. L’ordre de départ. Le mode de paiement. Une commission oubliée. Une parole de travers. Mais à la fin de la journée, presque tout le monde y trouve son petit compte. Les rancunes s’évaporent avec le coucher du soleil, et les histoires de la veille deviennent anecdotes pour le lendemain.
Ces lieux, malgré leur insécurité chronique et leur précarité ambiante, ont un charme certain. C’est du Sénégal brut qui s’y vit et qui s’y raconte. Toutes les nouvelles y sont guettées, décortiquées, commentées par des langues bien affûtées, expertes en tout : sport, politique, santé, faits divers, écologie même. Et entre deux altercations, la bonne humeur revient, comme une vieille amie qui change de sac du jour au lendemain. La solidarité y est loi. La dé- brouille, une foi.
Cependant, sans rien ôter à ce qui fait leur authenticité, un brin d’organisation et un soupçon de modernité ne seraient pas de trop. Pour le bien des usagers. Et pour que le Taxi Bokko garde son charme… sans sombrer dans le chaos.
(« Transport en commun)