La contiguïté des deux papiers parus à la page 18 de notre édition du vendredi dernier (Soleil numéro 16518 du 27 juin 2025) peut sembler fortuite. Mais au-delà de la proximité thématique qui les font se ranger dans la même rubrique « Société », ces deux articles sans liens immédiats apparents (ils traitent successivement de l’enquête Afrobarometer du Consortium pour la recherche économique et sociale sur la perception de l’insécurité par les populations et de la tenue à Kédougou, du « Dialogue communautaire » organisé sous l’égide du Gradec, le Groupe de recherches et d’appui-conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance) ont ceci de singulier que leur lecture combinée dessine une trame qui remet au gout du jour, et édifie (sans que ces sujets n’en constituent le cœur propre), sur deux problématiques essentielles. Celle, tout d’abord du « déficit de couverture sécuritaire dans les zones reculées » dont les sites d’orpaillage de la région orientale sont emblématiques. Et celle ensuite, du contexte bien daté (2009, début effectif de l’exploitation industrielle des gisements d’or de Sobodala sur le périmètre minier éponyme ayant accompagné le rush vers le nouvel Eldorado), de la dégradation du climat social dans l’ensemble des trois départements que polarise Kédougou. Une des dernières régions administratives érigées dont ces récits en abîme, réminiscences de « choses vues » (au sens où cette expression s’entend dans le jargon des vieux reporters de terrain) donnent la mesure de l’ampleur véritable. Mais aussi des origines connues du phénomène… Nous étions dans la région de Kédougou, en ce jour de novembre 2012. Après plus d’une heure et demie de « jimkana », sur l’axe Kharakhéna-Sambarabougou, la piste improbable menant à Sobodala qui semblait sans fin s’arrête net. Au détour d’un virage et une descente par une pente ravinée, sur la route crevassée en direction du village de Khossanto, la voiture déboule sur un hameau. Débarquement forcé à Mama Khonto.
Dans ce qui tient lieu de place centrale du village, entre l’école publique et les petits commerces installés dans de modestes maisons et tenus par des vendeurs Baol-Baol venus chercher fortune dans ce bout de Sénégal des antipodes, il y avait tout ce que ce village de l’arrondissement de Khossanto compte de curieux. Notables, femmes, hommes et enfants s’étaient donné rendez-vous sur les lieux. Formant ainsi cette foule bariolée tenue à distance par des gendarmes jeunes et bien baraqués. Le visage grimé par la même ocre poussière qui enveloppe leurs véhicules bleus tout terrain, les gars (visiblement des gens du Gign ou de la Lgi, donc des habitués de ces types d’opération commando) venaient de démanteler une de ces redoutables bandes armées qui, depuis quelques années et à la faveur de la ruée vers l’or, écument les lieux. Reconnaissables à leur barda et à leur façon de « dégager », ces « chocs » (c’est comme cela qu’ils s’appellent entre éléments de ces corps d’élite) ont dû crapahuter dur, et armes à la main, pour aller cueillir ces lugubres mecs à leurs pieds. Les malfrats présumés, un peu moins d’une dizaine, menottés et enchainés les uns aux autres forment selon le superbe mot d’un des chefs « une véritable Cedeao du crime ». Car étant de quasiment toutes les nationalités de la sous-région. « Ils sont redoutables parce que surarmés ». Mais aussi d’une extrême mobilité qui leur est facilitée, à la fois par la porosité des frontières et le niveau d’indigence en moyens de riposte et d’intervention des forces de sécurité des différents pays limitrophes censées les contenir. Mais aussi, par la nouvelle législation sur la citoyenneté d’inspiration communautaire qui permet la libre circulation des biens et des personnes… Toutes choses dont les syndicats sous-régionaux du crime savent si bien tirer profit « parce qu’en maîtrisant parfaitement les arcanes » ; comme nous l’expliquait un ponte des renseignements rencontré à Kédougou.
Cette ville devenue capitale régionale depuis 2009, bruit régulièrement, et depuis cette date, de faits divers sordides du genre qui sont venus polluer ainsi la sérénité perdue des collines boisées de ces zones enclavées à cheval sur trois pays aux frontières des plus poreuses. Un problème sérieux et malheureusement d’une si tragique récurrence dont les nouvelles autorités ont pris la pleine mesure de l’urgence. Engagées qu’elles sont, non seulement, à doter les forces de défense et de sécurité nationales de moyens conséquents pour faire au banditisme transfrontalier et assurer un remembrement territorial qui corrige les disparités sociales. Mais aussi, à renégocier les contrats (jugés léonins par certains) concernant les ressources extractives en général, dans la perspective d’un développement plus soutenable de cette région et de l’ensemble du pays, porté par une nouvelle législation minière plus équitable et plus soucieuse de la préservation des équilibres socio-environnementaux et des intérêts vitaux des communautés locales.