Une vieille connaissance, perdue de vue depuis nos années universitaires, m’a lancé cette pique lors de nos retrouvailles : « Sa way yaa ngui lekk sa xaliss. » Taquin comme à son habitude, mon ancien camarade de fac faisait allusion à mon embonpoint, contre lequel je lutte depuis quelques mois dans l’espoir de retrouver un ventre un peu moins arrondi. Ce type de remarque, nombreux sont les ventrus à y avoir droit au Sénégal. Car sous nos latitudes, l’adiposité reste parfois perçue comme un signe de bien-être. Pour certains, elle symbolise la réussite sociale, voire le confort matériel. Et pourtant, cette bedaine que l’on arbore parfois avec fierté dissimule souvent un profond déséquilibre nutritionnel. Ce paradoxe – entre abondance apparente et carences réelles – résume à lui seul la crise alimentaire silencieuse qui se joue dans nos assiettes. On s’en doute : la malbouffe n’épargne pas le Sénégal. Selon les données de la dernière enquête nationale de 2015, relayées par La Croix en mars dernier à l’occasion de la Journée mondiale de l’obésité, « 15 % de la population est en surpoids et 6 % obèse ». Depuis toujours, les professionnels de santé alertent : l’alimentation des Sénégalais est problématique à bien des égards, que ce soit dans la composition des repas ou dans les pratiques culinaires. Ces deux facteurs réunis forment un cocktail explosif pour notre santé. Ainsi donc, le fléau est dans la marmite : trop de sel, trop de sucre, trop d’huile. Et trop peu de réflexion sur ce que nous donnons à notre corps. Les plats traditionnels, bien que savoureux, se transforment parfois en bombes caloriques déséquilibrées. Quand ils ne perdent pas toute valeur nutritive à cause des additifs et exhausteurs de goût (le thiéré Tamxarit par exemple), ils cèdent peu à peu la place à la restauration rapide, attirés par de nouvelles habitudes de consommation.
En milieu urbain, la prolifération des enseignes de fast-food est assez illustrative de cette tendance. Leur expansion touche même les zones les plus reculées. Le résultat ? Une population qui mange beaucoup, mais mal. Des corps alourdis, des métabolismes déréglés, des maladies chroniques qui guettent. Rien d’étonnant, alors, à ce que le coût de l’obésité pèse de plus en plus lourd sur le système de santé. Ce n’est pas donc étonnant que les maladies cardiovasculaires soient désormais la deuxième cause de mortalité après le paludisme. La remarque du Dr Ousmane Kâ, chirurgien spécialiste, citée par La Croix, illustre bien la situation : « L’obésité, c’est la maladie des pauvres dans les pays riches, et celle des riches dans les pays pauvres. » Mais au fond, qui cela surprend-il encore ? Dans une société où la maigreur est trop vite assimilée à la maladie, où la silhouette dodue inspire plus de confiance qu’un corps effilé, il devient difficile de faire entendre un message pourtant simple : un ventre rond n’est pas toujours signe de santé.
La nutritionniste Dr Maty Diagne Camara, dans une interview datant d’une dizaine d’années, rappelait ceci : « Ce qu’on mange en trop, le corps le stocke. Et seule l’activité physique permet d’éliminer cet excès ». Un message clair, mais qui peine à s’enraciner dans les mentalités. Il faudrait des campagnes d’information plus percutantes, plus ciblées, pour ébranler les mauvaises habitudes. La spécialiste ajoutait : il faut apprendre à manger autrement, à cuisiner autrement, à repenser notre rapport à la nourriture.
En somme, ces recommandations nous enseignent une vérité simple : remplir son estomac ne revient pas toujours à nourrir son corps. Un ventre plein ne rime pas forcément avec bonne santé. Et si le ventre creux n’a pas d’oreilles, le ventre trop plein, lui, finit par nous peser.
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