Les années passent, et toujours la même question revient : qui est journaliste et qui ne l’est pas ? Pendant longtemps, au Sénégal, le journaliste était celui qui tirait l’essentiel de ses revenus de l’exercice de son métier de journalisme. Entre-temps, le texte a évolué.
Désormais, grâce à l’actuel Code de la presse, le journaliste est défini comme celui qui est sorti d’une école de journalisme reconnue par l’État ou celui qui justifie d’un niveau d’études minimum équivalent à la Licence et qui a été encadré dans une rédaction. C’est ce que certains appellent une entrée dans le métier par le niveau et par l’expérience. Bien entendu, tout cela se fait sous la supervision d’un organe dédié : la Commission de la carte nationale de presse, chargée d’attester de la qualité de journaliste ou de technicien des médias. L’objectif des acteurs, soutenus par les autorités de tutelle, était clair : limiter les dérives en contrôlant l’accès à la profession. Seulement, force est de reconnaître que cet objectif est loin d’être atteint. Le problème demeure. La profession est plus que jamais envahie. On y entre comme dans un marché. Des tailleurs deviennent du jour au lendemain présentateurs.
Des apprentis de cars rapides sont bombardés reporters. Des animateurs s’autoproclament journalistes, bousculant les codes et volant la vedette aux véritables professionnels. Autrement dit, la volonté d’assainir s’est révélée être un lamentable échec. Et voilà que le respecté et admirable Mademba Ndiaye annonce une nouvelle trouvaille : une vaste campagne de sensibilisation ayant pour cible les populations. « Il faut éduquer la société pour qu’elle puisse identifier qui est journaliste véritablement », recommande textuellement le doyen Mademba Ndiaye. Une idée partagée par Ibrahima Anne, ancien rédacteur en chef du quotidien Walfadjri : « Entièrement d’accord avec le doyen Mademba Ndiaye. N’importe quel énergumène qui se promène avec un micro ou une caméra est perçu par la société comme un journaliste. Au grand dam des véritables professionnels.
Ce qui fait que, parfois, on ressent une certaine gêne d’être présenté ainsi dans une rencontre, surtout quand les éléments de la « racaille » sont là, bien représentés ». En réalité, l’idée du doyen Ndiaye (aider à identifier qui est véritablement journaliste) n’est certainement pas mauvaise. La question que tous les professionnels devraient se poser cependant est la suivante : pourquoi le journalisme est-il devenu un métier si facile à faire, si facile à pratiquer ? La réponse coule de source : c’est parce que les professionnels ont cessé d’agir en professionnels. Faut-il le rappeler ? Un journaliste digne de ce nom a des droits et des devoirs. Parmi les droits : celui d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique, de refuser toute subordination, d’être informé de toute décision affectant la gestion publique. Parmi les devoirs : celui de respecter la vérité, de respecter la vie privée des personnes, de ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire ou de propagandiste.
Il n’est donc pas nécessaire d’éduquer la société, comme le suggère le doyen Ndiaye. Cultivons simplement la rigueur professionnelle et l’éthique, et ceux qui n’ont rien à faire dans le métier quitteront d’eux-mêmes, sans broncher. D’autant plus que le contexte socio-économique dans lequel évoluent les journalistes a été bouleversé en profondeur. L’émergence d’Internet a bousculé les pratiques traditionnelles des entreprises de presse et les a contraintes à remodeler leurs stratégies. Et on ne le dira jamais assez : l’intelligence artificielle a certes secoué le monde du journalisme, mais elle ne pourra pas mener une enquête approfondie, interroger des témoins et recueillir des informations sur le terrain. Tout cela restera l’apanage de femmes et d’hommes qui doivent donc être professionnels et outillés. Pour le bien de la démocratie et des sociétés humaines. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn