Un Peul est toujours un Ba, un Sow, un Diallo ou un Ka. Mais il peut aussi s’appeler Kane, Baal, Guissé, Kassé, Wone, Ly, Sall… Ou même Diop, Ndiaye, Thiam, Coulibaly, Fall, Ngom, Ndaw… C’est dire que, dans cette Sénégambie imbriquée de peuples et d’histoires, les noms circulent, se croisent, s’emmêlent. Mais parfois, une combinaison sonne tellement peule que l’identité saute aux oreilles : Demba Hamadi Sada Ba. Rien que ça.
Il est devenu, en quelques semaines, une sorte de légende vivante. Revenu au bercail après près de cinq années de transhumance dans la sous-région, à la recherche de pâturages pour ses troupeaux, Demba n’a pas fait grand-chose — ou plutôt, il a fait ce que ses ancêtres faisaient depuis des siècles : sauver ses bêtes, honorer ses engagements, traverser les terres sans jamais trahir sa dignité.
Mais dans un monde où le banal devient rare, son geste est devenu extraordinaire. Là où la jeunesse est rivée aux écrans et les anciens désabusés, le retour d’un berger est soudain apparu comme un acte de résistance, un rappel à l’ordre, une renaissance.
Son nom, à lui seul, raconte un roman. Demba, le troisième garçon dans la tradition, malin, vif, débrouillard. Hamadi, prénom d’aîné, porteur de responsabilités, digne, taiseux, parfois moins rusé, mais toujours plus fiable. Et Sada, qui signifie « heureux », « chanceux », comme un sceau du destin. Le genre de nom qu’on porterait dans un poème épique.
Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Demba Hamadi n’a rien inventé. Il a simplement remis ses pas dans ceux de ses aïeux, là où tant d’autres ont préféré l’exode vers les villes, les galères urbaines ou les illusions numériques. Il a marché, enduré, guidé ses bêtes à travers forêts, plaines, pluies, sécheresses. Et il est revenu. C’est tout. Et c’est énorme.
Je le sais, car je l’ai vécu. À la fin des années 1980, j’ai suivi mon père dans une transhumance qui nous mena de Ribo Escale, à côté de Koungheul, jusqu’à Médina Torobé, dans le Damga, au Fouta. Bœufs, moutons, chèvres, vaches, et même deux chameaux !
Nous avons marché deux mois, entre faim, fatigue et silence. Nous avons traversé la forêt du Sanghré et des plaines, dormi sous la pluie, à la belle étoile ou dans la pénombre des nuits d’orage. Nous avons épuisé nos vivres, et dû nous contenter plusieurs jours durant de lait de vache comme unique nourriture. Nous avons affronté les dangers et surmonté mille obstacles. Quand nous avons franchi la dernière colline menant au village, c’est toute la communauté qui est sortie à notre rencontre. Une fierté que je n’oublierai jamais — même si la maladie me terrassa dès le lendemain.
Aujourd’hui, les enfants du Fouta ont besoin de symboles. Ils cherchent dans TikTok et les séries ce qu’ils ne trouvent plus dans les cases ni dans les conseils de village. Demba arrive à point nommé. Il incarne un modèle qu’on croyait perdu : courage sans esbroufe, sacrifice sans plainte, dignité sans publicité.
Alors oui, peut-être que le Fouta n’a pas seulement retrouvé un fils.
Il s’est peut-être trouvé un héros des temps modernes.