Le sens de l’entraide et du partage, érigé en principe, au sein des familles sénégalaises, est-il devenu un raccourci vers une chute libre ? Une question qui garde toute sa pertinence au rythme des arrestations pour détournements de fonds publics ou privés dans notre pays.
Rien ne justifie ces pratiques qui déshonorent toute une lignée, voire toute une nation, mais quand des Sénégalais cherchent de plus en plus à s’enrichir indûment pour les beaux yeux de la famille, de la belle famille et de l’entourage immédiat, il y a de quoi s’interroger et appeler à une introspection. Certains évoquent l’urgence d’un « ndeup » salvateur pour remettre ces fossoyeurs sur le bon chemin et préserver nos finances. Grâce à un bel esprit de solidarité, des familles sénégalaises ont pu, en effet, se consolider à l’échelle nationale. On se soutient financièrement et moralement. La famille reste unie et forte grâce à ce filet de solidarité. Elle s’élargit et demeure ce fondement de la société où se construit le citoyen, appelé à porter le drapeau du pays à l’échelle planétaire. Celui qui se consacre au bien-être de la famille jouit naturellement de l’estime de ses proches. Mais parfois, la pression sociale voire monétaire exercée sur certains finit par créer des conséquences drastiques au sein de la société.
Dans une étude de recherche réalisée en 2004, le Forum civil avec l’appui financier du Centre canadien de Recherche pour le Développement international (Crdi) touchait du doigt un mal sénégalais, qui gangrène la société, notamment le secteur de la santé. Il prend source au niveau de la famille sénégalaise. Celle-ci met en avant, selon l’étude, le principe « Kuy xalam di ca jaayu » (jouer au xalam, c’est aussi s’enorgueillir de son instrument de travail) ou « Kuy togg di ñam » (le cuisinier a bien le droit de goûter à la sauce), « Ku am kuddu du lakk » (celui qui détient une cuillère ne doit pas se brûler les doigts), ou alors Le « Colobane », du nom du quartier de Dakar, présenté, dans l’imagerie collective, comme un milieu de recel. « Ce terme définit toutes les pratiques corruptives, notamment dans le milieu de la santé, tolérée et encouragée surtout quand il est suivi d’une contrepartie financière. Il permet d’accéder aux ressources par un raccourci ou un chemin détourné ».
En fait, tous les moyens semblent tolérés chez certains pour bénéficier d’une promotion sociale ou prendre sa revanche sur le destin. Le culte de l’apparence aidant, il faut exhiber sa réussite professionnelle et sociale, qu’importe si elle n’est pas basée sur le mérite et les principes d’éthique et d’honnêteté. Une autre étude financée par la Commission des Communautés européennes et la Direction du développement et de la coopération suisse (Ddc) avait mis à nu, en 2000, un décalage entre les besoins sociaux incessants et le montant des salaires, lequel pousse à une quête permanente d’argent liquide (emprunts, dépannages, petits boulots… ou corruption). Pour se conformer aux attentes de la famille, certains se donnent les moyens « de savoir profiter » du poste occupé (profitoo en wolof) pour passer comme quelqu’un a une forte personnalité. Celui qui a le courage de profiter d’un poste « juteux » voire stratégique, passe pour un « éveillé » (en wolof : « doful, ku yeewu la ». Le fonctionnaire, qui passe outre ces pratiques, « manque de dignité » ou de « personnalité » (en wolof : « dafa ñàkk fullà ou faayda »), il est même taxé d’antipathique (ku soxor en wolof).
Mais l’expérience a fini par montrer que ces pratiques, loin de les valoriser, déprécient, au fil des ans, leurs auteurs. Ces derniers perdent leur aura et leurs laudateurs. Dire que des hommes et femmes, qui ont touché des cœurs à l’échelle mondiale, ont montré qu’il n’est pas nécessaire de vendre son âme pour gagner le monde, que la richesse véritable réside dans l’amour et la compassion. Le célèbre chanteur, Bob Marley, disait que le bonheur ne se mesure pas à l’aune des gains matériels ou financiers, mais en moments de joie et de vérité partagés. Le Pape François a inscrit son nom dans la postérité pour son don de soi. Il a d’ailleurs renoncé à tous les ors du monde, préférant habiter, de son vivant, dans un modeste appartement. Des hommes et femmes de valeur, qui aspirent, pour autant, à un mieux-être, mènent une vie sans intensité, mais paisible. Qu’ils soient riches ou pauvres, ils sont aimés et honorés grâce à leur dévotion sincère à l’humanité. Ils ont compris que tout le reste n’est que feu de paille… matel.bocoum@lesoleil.sn