Le dire n’est pas être rabat-joie, c’est juste rappeler une dure réalité. Une impression de déjà vu et de déjà vécu jalonne notre quotidien de Sénégalais à travers certains actes posés. Cela donne le sentiment de vivre un passé qui recommence. Par exemple, les alentours du stade Léopold Sédar Senghor ont été astiqués, nettoyés, débarrassés de leurs squatteurs et de leurs bric-à-brac.
Bien. Mais donnons-nous quelques jours et apprécions à nouveau ce qu’il en adviendra de cette grande opération de salubrité publique. Parce que, normalement, jamais au plus grand jamais on n’aurait dû assister à cette énième opération de désencombrement de ce lieu si voyant de notre capitale. Car, là où le balai est passé et repassé, s’il continue de repasser, cela veut dire que rien n’a été fait pour nous éviter ce travail de Sisyphe. Il y a trois ou quatre ans, une initiative de la même envergure à grand renfort de communication, marquée par une forte résistance des occupants, avait été lancée. À l’époque, on nous avait assurés que plus jamais les lieux ne seraient occupés à nouveau. Mais il n’a fallu que quelques semaines pour que les anciens déguerpis reviennent en masse, que les ordures colonisent davantage les abords de cette infrastructure sportive, que les gargotes et les véhicules de transport en commun en fassent leur logis…
Déjà que, l’autre jour, lors du Conseil interministériel sur la préparation de la Tabaski, les représentants des éleveurs ont beaucoup insisté pour que l’État mette à leur disposition ce site qui, depuis toujours, est le plus grand réceptacle de moutons de Tabaski de la capitale. Certes, un niet catégorique leur a été opposé, mais parions qu’ils ne cesseront pas, en sourdine, de mettre la pression sur les autorités pour qu’elles reviennent sur leur décision. Pour dire que, tant que cette fête ne sera pas derrière nous, ce lieu sera toujours en sursis. Dans ce pays, on nous a trop habitués à des initiatives du genre qui, finalement, se révélèrent plus comme du feu de paille que du durable. « Set setal », « Zéro déchet », « Cleaning day », « Un week-end, une commune », « Setal sunu reew »… on a beau habiller ces opérations de termes wolof, français et d’anglicisme, il se trouve que cela n’a pas rendu nos villes plus propres que cela. La preuve, dès son arrivée au pouvoir, c’est à ce chantier de nettoiement et de libération de nos espaces encombrés que le président de la République s’était attaqué en premier.
À chaque fois, il descendait sur le terrain, histoire de donner le bon exemple, pour inciter les Sénégalais à prendre soin de leur cadre de vie. Un concours du quartier le plus propre a été même organisé lorsque les mobilisations citoyennes ont commencé à s’effriter. C’est dire ! En principe, dans un pays normal, la prise en charge des questions d’hygiène et de salubrité n’a besoin ni d’une implication présidentielle, encore moins d’une récompense. Ça en dit long sur le rapport que nous avons avec la gestion quotidienne de notre environnement immédiat. Ici, la salubrité semble être la norme, l’insalubrité la règle si bien que la vue d’un coin propre nous impressionne. Bon, après tout, normal de tomber sous le charme de ce qu’on connaît peu. Ainsi donc, après une pause de trois mois, on nous annonce le retour de l’initiative « Setal sunu reew » que le chef de l’État avait demandé de repenser. Cette fois-ci, le vocable a changé pour épouser une teneur plus économique : « Setal sunu reew ak koom koom ».
On attend de voir ce que cela va donner. On aurait bien aimé nous en féliciter, mais les expériences passées ne sont pas de nature à nous rassurer. On nous dira que l’approche n’est pas la même, qu’on n’a pas les mêmes autorités au pouvoir. C’est vrai. Sauf que nous avons toujours les mêmes Sénégalais avec leurs vieilles mauvaises habitudes si bien ancrées en eux qu’on ne les en débarrasse pas du jour au lendemain d’un coup de balai. Et quand le défaut de suivi dans toutes les opérations de remise à l’ordre des rues de Dakar vient s’y greffer, le fouillis n’en est plus qu’inextricable. D’ailleurs, Dakar n’a jamais paru aussi encombrée. Les passerelles, les ponts, les ronds-points, les allées piétonnes, les contre-allées, les terre-pleins, bref l’espace public et le mobilier urbain sont colonisés par le petit commerce, faisant de la capitale un grand marché à ciel ouvert. L’embellie ne dure jamais longtemps avant que l’anarchie, comme la nature, reprenne son droit. On ne peut s’échiner le plus clair de notre temps à passer et repasser sur des choses déjà faites. Là où la main passe une première fois, ça devrait suffire une bonne fois pour toutes. Ça fait économiser de l’agent et de l’énergie. elhadjibrahima.thiam@lesoleil.sn