Ils sont 27. Arrêtés en moins de 48 heures par la Division des investigations criminelles. 258 millions de FCfa déjà recouvrés. Une goutte dans l’océan des milliards engloutis, si l’on se fie au rapport de la Cour des comptes. À mesure que les révélations tombent, une nausée monte.
Car ce qui s’éclaire dans cette affaire dépasse de loin la simple mécanique d’un détournement de fonds publics. C’est une trahison. Une profanation de la douleur d’un peuple. Le fonds Force-Covid-19, lancé en mars 2020, devait être notre rempart collectif face à l’effondrement. Financé par l’État, par des partenaires internationaux, mais aussi – et surtout – par la foi des Sénégalais en leurs institutions, il incarnait une promesse : celle que la République tiendrait bon dans la tempête. Celle que personne ne serait abandonné. Qu’il y aurait des masques, des lits, de l’oxygène, des secours. Que le pays serait protégé. Mais pendant que l’on creusait les tombes pour nos dépouilles, certains creusaient leurs comptes bancaires.
Pendant que des médecins s’effondraient de fatigue et que des familles regardaient mourir les leurs à distance, eux facturaient en trop, détournaient en douce et justifiaient en moins. Qui sont-ils ? Des fonctionnaires. Des figures de l’administration. Parfois des artistes, des communicateurs, des influenceurs. Tous ceux qui, au lieu de prêter main-forte à la nation, ont choisi de tendre la main… pour se servir. L’audit de la Cour des comptes fut accablant. L’enquête du parquet l’est tout autant. Ce qui s’est joué ici, ce n’est pas une simple fraude. C’est une rupture de contrat moral entre l’État et ses citoyens. Un acte de forfaiture en pleine tragédie. Car ces milliards détournés ne sont pas qu’un chiffre. Ce sont des soins qui n’ont pas été donnés, des vies qui n’ont peut-être pas été sauvées, des espoirs enterrés avec les corps. C’est en quelque sorte la morale qui semblait être enfermée pendant que les abus circulaient librement.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de crier à la vindicte. La justice suit son cours. Mais ce cours-là doit être sans complaisance. Il ne peut y avoir de « chèque de sortie » là où il y a eu vol du bien commun. Il ne peut y avoir d’arrangements discrets là où il y a eu mise en péril d’une nation. Ceux qui ont confondu crise sanitaire et opportunité financière devront rendre des comptes. En droit. Mais aussi en mémoire. Car si l’argent se restitue, la confiance, elle, ne se récupère pas facilement. Cette affaire, qui remue l’opinion publique, doit devenir un précédent. Pas seulement pour sanctionner, mais pour transformer. Le Sénégal ne peut plus tolérer que l’argent public soit un butin à se partager selon les urgences du moment où les amitiés de circonstance. La transparence ne peut plus être un slogan : elle doit être une règle.
Une exigence. Une nouvelle culture. Pendant la pandémie, environ 2.000 Sénégalais sont morts. Derrière chaque chiffre, un nom. Une mère. Un frère. Un enfant. Une promesse brisée. C’est pour eux que la vérité doit éclater. C’est pour eux que la justice doit être implacable. C’est pratiquement connu de tous : malheureusement, dans nos sociétés modernes, le devoir moral est devenu une monnaie de propagande, vidé de sa substance et recyclé à l’infini pour servir des intérêts qui n’ont plus rien d’éthique. Ce qui hier relevait de la conscience, aujourd’hui relève de la communication. Le devoir moral n’est plus vécu, il est affiché.
On ne l’incarne plus, on le vend. Ce pillage du devoir moral consiste à utiliser les symboles de la vertu pour masquer l’absence de véritable engagement. À transformer la responsabilité en posture. À parler de solidarité sans jamais en payer le prix. Il ne s’agit plus de faire le bien, mais de paraître bon. Ce que nous attendons aujourd’hui, ce n’est pas un simple procès. C’est une réponse morale. Une réponse politique. Une réponse citoyenne. Pour que plus jamais, dans les heures les plus sombres de notre histoire, les mains tendues vers l’État ne se referment sur du vide. salla.gueye@lesoleil.sn