«Il faut appeler un chat un chat ». Les expressions toutes faites sont porteuses de sentences qui ont traversé les siècles. Nous les appelons « vérités » sans les passer au filtre du politiquement correct. C’est le passeport pour les territoires de toutes les démesures et de tous les outrages.
Le chien sera chien, le singe sera singe, le tigre sera tigre, le lion sera lion, etc. Jusqu’ici, il n’y a pas de quoi fouetter… un chat ! Cet adage a de belles saisons derrière et devant lui. Il est surtout une invite à taire l’hypocrisie ou les convenances handicapantes. C’est ainsi que la clameur publique a porté en écho le « dibi chat », cette spécialité peu ragoûtante qui a défrayé la chronique la semaine dernière à Dakar. Ce fait insolite a nourri la curiosité de beaucoup de personnes à défaut d’alimenter des clients l’ayant échappé belle. L’affaire est vite devenue virale. L’humour est franchement dégoûtant. Pourtant, la gastronomie est d’essence culturelle. La viande de chat, qui est banni sous nos cieux, est un délice dans les assiettes sous d’autres cieux. La viande de singe est un morceau savoureux dans des menus très classes.
Les asticots et criquets grillés donnent du goût au quotidien de peuples d’ailleurs. C’est dans le style de la formule bien connue : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Sur ce point précis de la culture alimentaire, il y a quelques années, je me suis retrouvé dans le « meilleur restaurant » d’un pays africain à l’invitation de décideurs de l’eau sur le continent. À l’entrée de ce haut lieu de la gastronomie, les grills géants tournaient dans le sens contraire à l’aiguille d’une montre. Le rôtisseur enfonçait une tige en fer dans les différentes viandes. Viande de singe, de crocodile, de bœuf et de poulet étaient retournées dans tous les sens avec le même équipement. La cuisson était un rituel maîtrisé. À table, j’avais quasiment la nausée. Même en prenant du poulet, j’avais en tête la viande de singe.
Le même dégoût a été réprimé par une connaissance ayant vu de la chair de serpent à l’entrée d’un restaurant dans un pays asiatique. Un autre ami va plus loin en cherchant un restaurant halal dans une ville européenne. L’histoire d’une aiguille dans une botte de foin, avant le boom de la localisation numérique facilitant la vie aux adeptes du digital. Dans un autre pays asiatique, alors que nous faisions les cent pas après un très long voyage, deux confrères et moi avons aperçu les gestes amples d’un monsieur de l’autre côté du grand boulevard. Il proposait du dibi d’un chien sur pied à la manière des téfankés vantant leurs beaux béliers. Au Sénégal, les rôtisseurs ont eu une nationalité dans l’actualité de la viande de chat. Vous comprendrez que je sois dans l’impossibilité de préciser cette nationalité dans ces lignes.
Je ne voudrais pas être épinglé pour stigmatisation. Et pourtant, des compatriotes indignés par le business de la viande de chat ont simplement pensé « appeler un chat, un chat ». Ou bien : des chats. Car il est question de chasse au chat le soir dans la Médina-Gueule Tapée. La nationalité des rôtisseurs indélicats a jeté le discrédit sur tous leurs compatriotes vendeurs de ce dibi si prisé. Il a même été question de contrôle aux frontières des flux d’étrangers entrant au Sénégal. Je ne me souviens pas, alors pas du tout, de la nationalité des personnes interpellées alors qu’elles dépeçaient un chien. Je ne me souviens non plus de la nationalité des vendeurs de viande d’âne. La vie courante nous offre d’autres exemples sur la nationalité de la famille nombreuse, de l’alcoolisme, de la cupidité, du vice, de l’inceste, de la crasse, de l’arrogance, de la paresse, etc. La poussée émotionnelle a vite produit une atmosphère de stigmatisation. Des expatriés ont été indexés comme de potentiels fournisseurs ou vendeurs de viande prohibée.
C’est une représentation sociale négative parce que portant atteinte à leur réputation. Il s’agit d’un frein à leur bonne intégration dans la société d’accueil. Par temps de tourbillon autour de cette affaire de dibi, le fait a revêtu une certaine gravité. Une tendance à arrêter car, très vite, peut s’ouvrir la porte d’une discrimination ou, pire, d’une chasse à l’homme. L’État de droit, fondé sur un pacte républicain, n’autorise pas de dérive sur l’identité d’autrui. La culture populaire, les relais médiatiques et les réseaux sociaux entretiennent des préjugés et des stéréotypes quelquefois fatals à la bonne entente des communautés. L’impact négatif n’est pas bien cerné sur des domaines vitaux des relations entre pays.
Les échanges culturels, les relations diplomatiques, la coopération militaire, la souveraineté alimentaire, les migrations et le tourisme peuvent connaître, un effet, de ralentissement entre pays englués dans des clichés. Ce sont des situations embarrassantes créées par la détermination à « appeler un chat un chat ». Le problème est qu’un chat, dans l’imaginaire populaire, a sept vies grâce à son agilité et son équilibre. Cet animal peut facilement retomber sur ses pattes… s’il ne rencontre un chasseur urbain. Cependant, la cohésion sociale et la fraternité des peuples n’en ont peut-être eu qu’une ou deux dans des sociétés du mépris institutionnalisé et des dérapages inconsidérés.