Dans un monde où le diplôme sert de carte de visite plus que de trace d’un chemin intérieur, que reste-t-il de la quête du savoir pour elle-même ? Voici un appel à redonner sens à l’acte d’apprendre. Il fut un temps où la plume trempait dans l’encre comme le cœur dans la foi : un geste lent, presque sacré. Le savoir se cherchait comme on cherche l’ombre d’un arbre au milieu de la saison sèche : avec patience, courage et respect. Celui qui apprenait n’attendait pas l’ovation ; il espérait la transformation. Apprendre était un acte de vie, une manière d’habiter le monde avec plus de douceur et de lucidité. Aujourd’hui, à regarder autour de nous, cette lumière semble vaciller. Nous ne cherchons plus le savoir : nous cherchons la reconnaissance. Nous étudions moins pour comprendre que pour réussir. Le diplôme n’est plus preuve d’effort et d’élévation, mais monnaie sociale à négocier. Pourtant, il y eut des générations pour qui lire, comprendre, transmettre, était une manière de dire : je deviens un être humain, pleinement. « La connaissance est un jardin, et si elle n’est pas cultivée, elle se dessèche », dit un proverbe africain. Il semble que nos jardins soient en friche. La philosophie, jadis colonne vertébrale de la pensée, est désertée car jugée « inutile ». On lui préfère les sentiers rapides du management, de la finance, des stratégies d’entreprise. Le monde moderne veut des profils opérationnels, pas des consciences éveillées. Et l’enseignement, autrefois vocation ardente, devient refuge administratif. On n’enseigne plus pour éclairer : on enseigne pour tenir. Survivre. Je revois encore ce professeur de droit, regard sombre, geste précis, qui nous avait avertis :
– Vous serez diplômés, oui. Mais avec des têtes vides.
Il disait vrai. Nous avalions des pages pour recracher des mots. Nous révisions pour l’examen, pas pour la vie. Nous apprenions sans comprendre, comme on respire sans sentir l’air. Puis, à peine les épreuves terminées, tout s’effaçait. Jusqu’au libellé des sujets que nous venions d’affronter. Nous étions à l’université – mais pas dans le savoir. Pourtant, quelque chose en nous refuse encore de mourir. Un visage d’enfant penché sur un livre. Une étudiante qui, un soir, relit sa leçon pour la beauté de la phrase. Un maître qui, malgré la fatigue, continue d’expliquer avec douceur. La flamme n’est pas éteinte. Elle est fragile. Mais elle existe. La plume dans l’encre. C’est un geste ancien. Et c’est peut-être notre seule porte vers l’avenir. Apprendre pour devenir. Comprendre pour éclairer. Transmettre pour durer. Parce que le jour où nous aurons complètement oublié cela, le monde pourra bien continuer à diplômer, mais il n’aura plus personne à élever.


