Il arrive parfois que l’actualité, par la force de certains faits, se transforme en miroir brutal de notre société. Cette semaine, deux événements, en apparence banals dans un flux quotidien saturé d’informations, ont pourtant révélé une fracture plus profonde : celle d’un rapport troublé à la morale, à la dignité, et à la responsabilité individuelle.
Le premier fait s’est déroulé à l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd). D’après la presse, le nommé I.J.B, employé modèle depuis quinze ans dans une société de manutention, a été interpellé pour le vol de bijoux en or, diamants, cheveux naturels et autres objets de valeur subtilisés dans les bagages de voyageurs. Une affaire d’autant plus choquante qu’elle implique un professionnel expérimenté, réputé pour sa rigueur, et travaillant dans un secteur où la confiance est primordiale. Quelques jours plus tard, c’est une vidéo virale qui envahit les réseaux sociaux.
On y voit un homme âgé, facilement identifiable, en train de s’emparer d’un ordinateur dans une maison équipée de caméras de surveillance. Là encore, stupeur : l’âge de l’auteur, symbole supposé de sagesse et de transmission des valeurs, ajoute à la tristesse du geste. Deux actes isolés ? Peut-être. Mais à bien y regarder, ces situations révèlent un malaise sociétal plus large, où des citoyens ordinaires, confrontés aux difficultés de la vie, cèdent à des dérives extraordinairement révélatrices. En creux, elles posent une question dérangeante : quelle place occupe encore la dignité dans notre quotidien ?
Certes, nul ne peut ignorer que le contexte économique est difficile. Le coût de la vie augmente, les inégalités persistent, et les jeunes, notamment, peinent à trouver un emploi stable malgré les efforts étatiques massifs pour dynamiser l’entrepreneuriat, développer l’insertion professionnelle et stimuler la croissance inclusive. Mais la précarité, aussi réelle soit-elle, ne saurait justifier la trahison de valeurs fondamentales. Car ce que ces deux faits révèlent, au-delà de la perte de contrôle individuelle, c’est une forme de désensibilisation collective à la gravité morale du vol. Le cas de I.J.B est d’autant plus tragique qu’il incarne une triple chute : morale, car son image, bâtie sur quinze années de travail honnête, est irrémédiablement entachée ; économique, car il perd son emploi et compromet l’avenir de sa famille dans un marché du travail déjà saturé ; judiciaire, enfin, puisqu’il risque la prison, et avec elle, l’exclusion sociale, les stigmatisations et la souffrance familiale.
Quant au vieil homme filmé dans son acte, il offre un autre visage de la même crise. Celui de la honte familiale, du discrédit social, et de la perte d’autorité morale. Car que reste-t-il à une société où même les aînés, censés être des repères, cèdent à la facilité de la transgression ? Plus profondément encore, ces faits nous parlent de la manière dont certains modèles de réussite sont en train de muter. Dans une société saturée d’images, où l’on expose davantage le luxe que l’effort, l’illusion d’une ascension rapide, sans mérite ni sueur, séduit les plus vulnérables.
Le travail patient, la sobriété, l’endurance morale perdent du terrain face à des discours qui valorisent l’apparence plus que la substance. Or, c’est précisément dans ces moments de turbulence que la dignité doit redevenir notre boussole collective. La dignité, ce n’est pas un luxe réservé à ceux qui n’ont besoin de rien. C’est un choix éthique quotidien, un engagement intérieur à refuser de trahir ses valeurs, même dans l’épreuve. C’est elle qui fonde le respect de soi, qui permet de regarder ses enfants dans les yeux, de marcher dans la rue sans baisser la tête. Les politiques de lutte contre le chômage, les dispositifs d’appui aux jeunes, les campagnes de sensibilisation à la citoyenneté, sont autant de leviers mis en avant par l’État pour bâtir une société plus équitable. Mais aucune réforme, si ambitieuse soit-elle, ne peut remplacer le socle intime de l’honnêteté personnelle. salla.gueye@lesoleil.sn