Après quatre ans de mépris envers un continent traité comme quantité négligeable, durant tout son premier mandat (2017-2021), assiste-t-on à un intérêt particulier du président américain pour l’Afrique ? Jusqu’ici, le prisme de la menace migratoire à enrayer mettait un peu le continent sur la touche, et les rares fois qu’il attirait le regard de Trump I, c’était pour critiquer l’efficacité de l’aide humanitaire.
En janvier 2025, Trump II est arrivé au pas de charge en sonnant le glas de l’aide publique américaine au développement (fin de l’Usaid). Alors que les signaux envoyés depuis Washington n’auguraient rien de bon, la batterie de droits de douane s’abat sur le continent, laissant planer de sombres perspectives sur l’avenir de l’Agoa, cette loi américaine qui permet aux pays africains d’exporter plusieurs produits en franchise de droits. Visiblement, rien de réjouissant ne s’annonçait de l’autre côté de l’Atlantique, jusqu’à l’annonce d’une rencontre entre le président américain et cinq chefs d’État africains.
Trump dévoile ainsi une autre facette : son imprévisibilité en diplomatie. On ne sait jamais à l’avance ce que l’homme va faire, son caractère désarçonnant rend tout possible et impossible. Le format inédit de sa rencontre avec ses homologues du Sénégal, du Liberia, de Guinée-Bissau, de Mauritanie et du Gabon, mercredi dernier, a été diversement apprécié, parfois sans tenir compte du résultat escompté de part et d’autre. Bassirou Diomaye Faye, Joseph Boakai, Umaro Sissoco Embalo, Mohamed Ould el-Ghazouani et Brice Oligui Nguéma savaient sûrement à qui ils avaient affaire ce jour-là et à quoi s’attendre.
Ils n’ignoraient pas non plus les enjeux tant du côté américain qu’africain. Adepte des « deals » pour préserver les intérêts de son pays, Trump est d’abord et surtout un président businessman, qui avance avec une diplomatie transactionnelle pour défendre les intérêts commerciaux et régler ses préoccupations sécuritaires. Sa nouvelle approche pour la préservation des intérêts américains, bâtie sur le bilatéralisme, contraste fortement avec les formats habituels où un chef d’État de pays développé convoquait ses homologues de tout un continent. L’audience à la Maison Blanche avec les cinq présidents susmentionnés est un format qui a permis d’aller droit à l’essentiel, loin des discours policés des sommets. Trump est à la recherche de minerais stratégiques, ses homologues africains, à la tête de pays stables, n’en manquent pas, et ils lui ont étalé les opportunités d’investir chez eux. S’y ajoute qu’ils sont bien situés sur la façade ouest de l’Atlantique.
En se projetant en Afrique, l’Amérique cherche à résorber le gap qui le sépare de la Chine, leader dans l’exploitation de minerais stratégiques. En effet, pendant que les ex-puissances colonisatrices perdent pied en Afrique, Pékin y fortifie ses positions, notamment à travers l’initiative « Belt and Road » (la Ceinture et la Route), ce gigantesque projet d’infrastructures et d’investissement à grande échelle dont le but est de connecter le continent à l’Asie et à l’Afrique à travers de nouvelles voies maritimes et terrestres pour renforcer les liens économiques. Premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine est dans une logique d’atténuation des droits de douane américains sur le continent, quand elle annonce la suspension des taxes sur les importations en provenance des pays africains.
Mais le nouveau paradigme trumpien, construit autour du bilatéralisme et de la fin de l’aide au développement, risque de laisser en rade les pays africains qui ne présentent aucun intérêt stratégique aux yeux des Américains. D’autant plus que les enjeux sécuritaires dans un contexte de montée du péril djihadiste dans le Sahel où la Russie est très influente ne se limitent pas à ces cinq États. Cette question ne saurait laisser indifférents les Américains. « Pays de m… » ? Pays d’opportunités commerciales et stratégiques plutôt. Et ces opportunités doivent aussi profiter à l’Afrique. En contrepartie de ses minerais rares, nos pays sont dans une position assez confortable pour négocier des avantages commerciaux et des investissements massifs.
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