Je me rappelle, au lycée Seydina Limamou Laye, nous avions un professeur de portugais en classe de première ou terminale, ou les deux, qui aimait beaucoup le football. Il aimait tellement le football qu’il ne ratait aucun match de la prestigieuse Ligue des champions de l’Uefa qui a ensuite pris le relais de la Coupe des clubs champions.
Il trouvait toujours les moyens de s’évaporer comme un elfe avant même la fin du cours pour suivre les duels des grands d’Europe. À l’époque, des équipes comme l’Étoile rouge de Belgrade, l’Olympique de Marseille, le Milan, le Fc Barcelone, l’Ajax d’Amsterdam et la Juventus de Turin avaient le vent en poupe. « Faites semblant de rentrer et ne vous faites pas remarquer », nous soufflait notre cher professeur qui, bien qu’il ressemblât fort à Romario, génie brésilien qui a fait les beaux jours du Psv Eindhoven, n’avait rien d’un génie du ballon rond. Il n’avait d’ailleurs jamais tapé dans un ballon. Cependant, il nous conseillait de ne jamais faire semblant dans la vie, de rester toujours sérieux, juste, véridique, franc, sincère et surtout de toujours croire en ce que nous faisions. Malheureusement, dans le monde d’aujourd’hui, tout fonctionne (presque) à l’envers.
On fait semblant d’être sincère, sympathique, donne l’impression de prodiguer de l’amitié, de l’affection, or dans nos cœurs, on nourrit un sentiment contraire. On ne se gêne pas de critiquer, de toujours blâmer l’absent, de casser du sucre sur son dos, de lui sourire en sa présence pour ensuite le poignarder dans le dos à la minute qui suit. On se fait troubadour, flatte, glorifie, n’hésite pas à adhérer de façon factice aux idées des autres, à recourir à des circonvolutions langagières incroyables pour gagner leur sympathie. Bref, on dit avec nos langues ce qui est loin d’exister dans nos cœurs et ce qu’on exprime en public ne reflète guère nos convictions intérieures. L’art de faire semblant est devenu un fléau dangereux et depuis notre enfance on baigne dans cette hypocrisie déguisée. En grec, le mot hypocrite désigne un acteur, une personne qui interprète, qui joue, qui feint.
C’est en quelque sorte un simulateur, qui revêt un masque permanent. Et ce masque lui permet d’avoir une double face. Si l’hypocrisie apparaît comme un vilain défaut, force est de reconnaître que nous sommes tous atteints par cette maladie chronique qui constitue un danger pour toute communauté. Oui, on est tous hypocrites à un moment donné et pour diverses raisons. On est devenu des maîtres dans l’art de cacher nos intentions, de déguiser notre pensée réelle. Mais de toutes les hypocrisies, celle sociale est la pire, car on la retrouve dans toutes les strates de la société. Elle nous empêche de dire ce que nous pensons réellement par peur de déplaire, de froisser, de blesser, mais le plus souvent, on en use pour gagner la confiance, défendre ses intérêts, pour dissimuler sa véritable personnalité…
La Rochefoucauld ne disait-il pas que « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu » ? Malheureusement, sous nos tropiques, on a tendance à assimiler l’hypocrisie sociale à un lien nécessaire pour permettre à notre communauté de rester soudée, à un ciment social indispensable. On est adepte du double langage, on montre des visages différents aux autres selon les circonstances. Pour le Sceau des Prophètes, « les pires des gens sont ceux qui ont une double personnalité en se présentant à certaines personnes avec un visage et à d’autres, avec un autre visage. » La nature humaine est polluée par le mensonge. Si on déchirait le cœur de tout un chacun, il sera difficile d’y trouver un atome de sincérité pour la bonne et simple raison qu’il y a une flagrante contradiction entre l’apparent et le voilé.
Nos cœurs contestent nos paroles et Dieu le confirme dans la sourate Al-Imran (la famille d’Imran) au verset 167 : « … Ils disent avec leurs bouches ce qui n’est pas dans leurs cœurs. Dieu connaît parfaitement ce qu’ils cachent ». L’hypocrisie assombrit les cœurs et aujourd’hui, le constat est que ce trait de caractère honni mais jamais banni qu’est l’hypocrisie sociale, qu’elle soit individuelle ou collective, met en péril l’honneur et la dignité humaine. C’est un devoir d’être franc à l’égard de notre prochain, de se départir de cette fausse apparence, mais aussi de nous abstenir de cette ignominie qui consume l’honneur et le respect. On doit toujours avoir le courage de dévoiler nos véritables intentions. sambaoumar.fall@lesoleil.sn