Parmi les maladies du cœur figure en bonne place l’ostentation qui, dit-on, est le drapeau de l’hypocrisie, le défaut psychologique le plus laid. Les sages considèrent ce vice de l’âme comme un acte qui annule et rend insignifiant les actions du croyant.
Qu’il est aussi à l’image d’un ver qui ronge les œuvres, un ver caché. Il y a une année, j’étais si jeune que je ne m’en souviens même plus, j’avais accompagné ma mère au foirail pour acheter un mouton pour la Tabaski. Le bélier était si maigre que j’avais honte même qu’on me voit pavaner avec. J’ai eu la lâche idée de laisser ma mère toute seule se débattre avec le mouton. En réalité, innocent et naïf que j’étais, je me souciais beaucoup plus des qu’en-dira-t-on, au lieu de me demander comment elle s’était débrouillée pour avoir de quoi se payer ce mouton. Ou de me rappeler que, du vivant de mon père, il nous arrivait d’avoir le mouton le plus dodu de tout le quartier. Ce n’est que bien des années plus tard, quand j’ai grandi et fondé une famille, que j’ai compris que dans la vie, on ne doit jamais faire quelque chose pour le plaisir ou pour les beaux yeux des gens. Et qu’il faut toujours se contenter de ce que l’on a ; qu’importe si l’autre a plus que nous. Parce que la vie n’est pas aussi compliquée qu’il n’y paraît. Si vivre est difficile, survivre l’est encore moins et on peut y arriver avec le peu qu’on gagne, sauf si l’on est gagné par le syndrome de la folie des grandeurs.
Aujourd’hui, la fête de la Tabaski occupe tous les esprits, est sur toutes les lèvres. On a beau vouloir ne pas y penser, l’ignorer, mais les béliers replets ou efflanqués aux cornes parfois enroulées qui commencent à occuper l’espace, à meubler le décor de nos rues et quartiers, sont là pour nous rappeler que l’échéance n’est pas bien loin. Avec les marchands de tissus et tailleurs qui ont repris du service, la liste des besoins à combler est là, aussi longue qu’un chapelet de sorcier. Comme chaque année donc, c’est un combat contre l’incertitude, le stress devenu le lot quotidien des parents et autres chefs de famille à force de penser aux nombreuses dépenses. Est-il besoin de rappeler que la plus célèbre tradition de l’Aïd-el-Kébir qui commémore la soumission et la foi sans faille d’Ibrahim est le sacrifice d’un animal ? Chaque famille, dans la mesure de ses moyens, immole un mouton. Ou à défaut un chameau, un bœuf ou une chèvre. Pour certains, tous les moyens sont bons pour commémorer le geste d’Ibrahim, quitte à s’endetter jusqu’au cou. D’aucuns ont tendance à vouloir plutôt paraître qu’être. Ils se prêtent à un concours d’ostentation, veulent être premiers en tout.
Comme si la vie était une compétition. Ils veulent avoir le plus gros et le plus cher bélier, les plus chics boubous, la plus longue liste de dépenses… Et ils n’hésitent pas à le montrer, comme pour narguer leur entourage. Ils dépensent des millions pour une fête pendant qu’à côté, se trouvent des gens qui meurent de faim et n’ont même pas de cordes pour attacher un agnelet ou un cabri. Un vrai paradoxe quand le désir passionnel invite certains à une forme de prodigalité que la raison condamne. Dieu n’aime pas le gaspillage comme Il le mentionne dans la sourate An-Nisa’a (Les femmes) au verset 38 : « Et ceux qui dépensent leurs biens avec ostentation devant les gens, et ne croient ni en Allah ni au Jour dernier. Quiconque a le Diable pour camarade inséparable, quel mauvais camarade ! »
Comme le disait si bien Aristote, « l’ostentation consiste à faire parade de sa fortune dans les occasions où l’on ne devrait pas la montrer ». Et il n’a pas tort, car beaucoup de gens se montrent généreux en public, mais avares en l’absence de témoins. Ils font des œuvres en vue d’être appréciés des hommes, or Dieu n’aime pas l’ostentation, l’extravagance… « Et donne au proche parent ce qui lui est dû ainsi qu’au pauvre et au voyageur (en détresse). Et ne gaspille pas indûment, car les gaspilleurs sont les frères des diables ; et le Diable est très ingrat envers son Seigneur » (Sourate Al-Isra, Le voyage nocturne, versets 26-27). Le Seigneur nous convie à une vie pure, dénuée de toute hypocrisie et tromperie. C’est pour cette raison que chacun doit, avec force, combattre l’ostentation, ce vice qui pourrit l’âme et qui demeure la plus dangereuse des choses planant sur l’œuvre de l’homme. sambaoumar.fall@lesoleil.sn