Il en a fallu de peu que je n’applaudisse, croyant qu’au Sénégal, enfin — et pour une fois — une mesure, parmi les milliers annoncées à chaque drame, fût appliquée. Mais patatras ! Nos illusions se sont écroulées, à l’image de ces bâtiments qui s’effondrent ces derniers temps.
En réalité, la démolition très médiatisée d’une bâtisse à Touba, sous la supervision de l’autorité administrative locale, était loin de ce qu’on imaginait. Ce que l’on avait présenté comme le premier coup de pelle d’une vaste opération n’était finalement qu’un coup d’épée dans l’eau. On découvre qu’il s’agit d’une initiative personnelle, et non d’une action de la force publique.
Le détail est révélateur : le préfet lui-même a remercié le propriétaire du bâtiment pour sa « collaboration », allant jusqu’à l’ériger en modèle pour les autres détenteurs de constructions illégales ou dangereuses. Rien que ça ! Que faut-il en déduire ?
Que les services compétents n’ont pas encore la volonté réelle de remettre de l’ordre dans ce secteur. Sinon, comment expliquer qu’un deuxième effondrement survienne à Touba, moins d’un mois après celui de la fin mai, qui avait causé la mort de 11 personnes ? Rappelons qu’à la suite de ce drame, le ministère de l’Urbanisme avait annoncé, une fois de plus, une série de mesures destinées à prévenir de telles tragédies. Mais aucune de ces décisions n’a connu le moindre début d’exécution.
On tourne en rond. On recycle les mêmes discours comminatoires, les mêmes déclarations d’intention, alors que les causes du mal sont déjà identifiées. Une dalle qui cède. Un immeuble qui se disloque. Des vies qui s’arrêtent. Des familles endeuillées. Encore et encore. Le scénario devient tristement familier. Le Sénégal semble pris dans une spirale d’effondrements. Les immeubles s’élèvent à une vitesse vertigineuse, parfois au mépris des règles élémentaires de sécurité. Des maçons tirent des seaux de ciment à la force des bras, perchés sur des chantiers improvisés.
Des murs montent, des étages se multiplient, sans qu’un permis de construire n’ait jamais été délivré. Dans ce paysage urbain en mutation, la frénésie de bâtir semble plus forte que l’instinct de protéger. Les gens veulent des immeubles en quelques mois, oubliant qu’on ne construit pas la solidité à la hâte. Et avec l’arrivée de l’hivernage, il ne serait pas surprenant que d’autres effondrements surviennent, notamment parmi les nombreux bâtiments en ruine.
Que l’on n’invoque pas la volonté divine. Un rapport de 2021 a déjà identifié 1 446 constructions menaçant de s’effondrer à tout moment sur l’ensemble du territoire national. La majorité d’entre elles se situe à Dakar et à Diourbel — tiens, tiens, précisément les deux régions les plus touchées par ces drames ces derniers mois. Depuis, quelles mesures préventives ont été prises concernant ces mesures ?
On demande à savoir. Toujours est-il que les experts, eux, ne cessent de tirer la sonnette d’alarme depuis des années ; ils ne sont pas écoutés. Et pourtant, en matière de textes législatifs pour réguler le secteur de la construction, le Sénégal est bien nanti à travers le Code de l’urbanisme et de la construction. Considérant que ce texte, qui date de 2009, ne répondait plus aux exigences actuelles de sécurité, de durabilité, d’inclusion et d’efficacité énergétique, l’État a décidé de le réviser et de le scinder en deux lois distinctes, adoptées par l’Assemblée nationale en décembre 2023.
Mais — ironie institutionnelle — elles ne sont toujours pas applicables, faute de décrets d’application. On apprend que les textes sont prêts depuis avril 2024. La même lenteur est constatée dans la mise en place de l’Ordre des ingénieurs, alors qu’il existe déjà dans la plupart des pays de la sous-région. Cette lacune, selon un expert, place le Sénégal en non-conformité avec les directives de l’Uemoa et nuit à la compétitivité des ingénieurs sénégalais sur le marché régional. Or, la mise en place de cet Ordre aurait pu permettre de renforcer la régulation du secteur, d’impliquer l’ensemble des parties prenantes et de répondre efficacement aux instructions présidentielles pour améliorer la sécurité des constructions au Sénégal.
On le voit donc, l’État tarde à contrôler, les promoteurs se précipitent, les ouvriers sont mal formés, les citoyens parfois complaisants. Et pendant ce temps, les immeubles tombent. Il est urgent d’en finir avec la culture de l’à-peu-près. De remettre de l’ordre, de la rigueur, de la responsabilité dans notre façon de bâtir. Sinon, c’est le pays tout entier qui continuera à vaciller sur des fondations fragiles.
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