Lorsqu’un événement important mais imprévisible survient à un endroit donné, il n’y a pas forcément de journaliste présent sur les lieux immédiatement. Le réflexe des témoins, c’est de prendre des images. Chaque témoin, muni d’un smartphone, devient ainsi émetteur et transmetteur de photos et de vidéos.
Des fois, il arrive qu’il les diffuse sur ses réseaux sociaux personnels ou les transmette aux médias. La semaine dernière, deux Sénégalais ont été mortellement fauchés par un remorqueur alors qu’ils rentraient du travail à Ohio aux États-Unis. Le choc, d’une extrême violence, ne leur a laissé aucune chance. Les défunts, connus pour leur courage et leur détermination, venaient de terminer une longue journée de travail lorsque le drame s’est produit. Les images terrifiantes de l’accident ont fait le tour de la toile à travers des statuts et partages sur WhatsApp. Elles ont ainsi ému plus d’un. Surpris par la vitesse de ce partage, les familles et les proches des victimes sont montés au créneau pour dénoncer cette diffusion virale des images du choc.
Auparavant, le 7 septembre dernier, un accident mortel impliquant un véhicule de transport en commun communément appelé « Cheikhou Chérifou », en partance pour Kolda, et un véhicule particulier, a fait un mort et plusieurs blessés graves sur l’autoroute de l’Avenir. La scène de l’accident a été filmée par les caméras de surveillance et la vidéo a fait le tour de la toile. Face à de tels chocs sur nos routes et ailleurs, nombreux sont ceux qui perdent la lucidité. Et leur réflexe après l’immortalisation de la scène et la prise de photos, c’est le partage systématique, et ce, sans le moindre consentement des concernés. Pis, les auteurs ne mesurent point l’impact de leur acte sur l’état psychologique des familles des victimes dans ces moments de douleur. Des études scientifiques ont d’ailleurs démontré combien l’exposition aux images violentes influence notre perception du monde, notre sentiment d’insécurité, notre agressivité ou notre capacité d’empathie. Aussi, faudrait-il le regretter, des images choquantes d’accidents envahissent de plus en plus certains médias.
Aujourd’hui, les rédactions font face à un dilemme. Il est devenu fréquent de voir une certaine presse emportée par cette tendance à illustrer ses textes par des photos et vidéos violentes. Sous d’autres tropiques, le choc a beau être violent et brutal, beaucoup de médias se gardent d’illustrer leurs manchettes par des images qui pourraient choquer les lecteurs ou téléspectateurs qui ont la corde sensible. La diffusion de telles images sous-tend une exigence et une responsabilité. Les diffuseurs ne doivent pas perdre de vue l’état psychologique et psychique des familles des victimes. En plus des enfants et adolescents, certaines personnes majeures sont sensibles au regard des images violentes.
Certains sont particulièrement fragiles face au contenu des images violentes et ils ont des difficultés à s’en distancier, voire à s’en détacher alors que ces images peuvent nourrir une représentation du monde très éloignée des valeurs de la société globale. L’exposition régulière à des contenus violents peut créer un impact émotionnel direct. Chez certaines personnes, elle peut engendrer divers symptômes, provoquer un sentiment de peur, de tristesse ou d’impuissance. Par respect pour les victimes et leurs familles, personne ne doit contribuer à la diffusion d’images traumatisantes. Malheureusement, l’apparition, depuis une dizaine d’années, des réseaux sociaux et du « contenu généré par l’usager » dans l’écosystème de l’actualité ne laisse point présager une réduction de la diffusion d’images à forte charge émotionnelle.
Au Sénégal, les atteintes à la vie privée sont définies dans le Code pénal et peuvent inclure la capture ou la transmission d’images ou de paroles privées sans consentement, ainsi que la divulgation non autorisée de données personnelles. Une loi a été adoptée en 2008 pour mieux protéger ces informations. Les sanctions incluent des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 7 ans et des amendes allant jusqu’à 10 millions de FCfa, conformément aux dispositions du Code pénal et à la loi sur les données personnelles. L’utilisation d’images choquantes d’amateurs ou de professionnels s’avère un problème de plus en plus prégnant.
Certains contenus peuvent paraître banals pour certains et avoir un impact psychologique profond sur d’autres. C’est pourquoi nous devons toujours veiller à ne pas choquer les âmes sensibles ni amplifier le stress des familles de victimes. souleymanediam.sy@lesoleil.sn