Il s’entend dans les mots pesés, se devine dans les silences éloquents, se lit dans les non-dits chargés de tension. Tous convergent vers le même constat : un malaise au sommet de l’État, entre les deux têtes de l’exécutif. Deux camarades de parti, deux compagnons de lutte, deux anciens collègues, deux amis, aujourd’hui pris dans une dynamique de dissension qui inquiète. Assurément, la prise de parole musclée du président de Pastef – également Premier ministre – pourrait bien constituer un tournant décisif dans l’histoire politique du Sénégal. Car aujourd’hui, Pastef incarne le pouvoir et, à travers lui, le destin de plus de 18 millions de Sénégalais. Lorsque les figures de proue du navire vacillent, c’est tout l’équipage qui chancelle. La manière dont cette crise interne sera gérée déterminera largement la stabilité du pays.
Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko sont les piliers du pouvoir. En se fragilisant mutuellement, c’est la République qu’ils ébranlent. Dans un pays déjà accablé par une dette écrasante, se permettre les effets collatéraux d’une guerre fratricide serait un luxe ruineux. Ce serait, pour ainsi dire, signer l’enterrement de première classe de l’espoir des centaines de milliers de Sénégalais qui ont cru au « Projet ». Il est encore temps : dialoguez. Désamorcez cette tension devenue une véritable baudruche qui menace d’exploser au visage de la Nation.
L’un revient de Chine, porteur d’espoirs stratégiques. L’autre rentre des États-Unis, les valises remplies de perspectives économiques prometteuses. Mais que valent ces promesses si, au même moment, le spectacle d’un pouvoir divisé se donne en pâture au monde ? Aucun investisseur sérieux ne misera sur un pays où les plus hautes autorités s’ignorent ou s’opposent. Parlez-vous. Parlez-vous encore, car tant de fois, le dialogue a sorti le pays de situations parfois inconfortables.
La trajectoire du Sénégal n’a jamais été un long fleuve tranquille. Nous avons souvent évolué en équilibre instable, comme un funambule suspendu au-dessus du vide. Pourtant, à chaque étape, le Sénégal a su s’appuyer sur des ressorts insoupçonnés pour rester fidèle à ses idéaux républicains et démocratiques. Les vents contraires, les tensions politiques ou sociales, qui ont pu faire vaciller d’autres nations, n’ont jamais réussi à entamer notre résilience. Ce récit de notre destin commun, qu’on nous envie, ne s’écrit pas à l’encre de sang, mais par les postillons du dialogue. Discutez.
Ne prêtez pas l’oreille à ceux de votre parti qui, par leurs prises de position publiques, attisent les braises au lieu de les éteindre. Leur devoir est de colmater les brèches, de rapprocher les points de vue, de jouer les bons offices. Le malaise couvait, certes. Aujourd’hui, les flammes lèchent les fondations mêmes du pouvoir. Mais il n’est pas trop tard. Des voix de sagesse, des médiateurs de bonne volonté peuvent encore se lever pour empêcher un embrasement institutionnel aux conséquences incalculables. Il s’agit, en effet, de faire bloc autour de l’essentiel : le Sénégal. Car, dans une lutte fratricide, nul ne sort indemne. Les priorités sont claires, les défis immenses, les responsabilités historiques. S’il faut investir de l’énergie, qu’elle le soit dans la reconstruction nationale.
L’histoire est là, non pour glorifier nos réussites seulement, mais pour nous rappeler les erreurs à ne pas répéter. Le conflit entre Senghor et Mamadou Dia a brisé une trajectoire prometteuse. Ne recommençons pas. Le tandem politique Sonko-Diomaye a su offrir à l’Afrique l’une de ses images les plus fortes. Il a suscité admiration, mais surtout beaucoup d’espoir. Cette transition exemplaire, saluée à l’échelle internationale, a confirmé le Sénégal comme une référence démocratique dans une région en proie à l’instabilité. Cette réussite aujourd’hui menacée ne doit pas sombrer dans la discorde. Il faut faire preuve de maturité politique, garder la tête froide et ignorer les manœuvres des faucons et des lobbies de l’ombre. Les Sénégalais observent, le monde nous scrute et l’avenir nous attend. Ne laissons pas la République vaciller.
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