Désormais, il suffit de lire un statut WhatsApp ou Facebook pour deviner ce que l’on taisait autrefois. Reflets d’humeurs, règlements de comptes ou hommages : les statuts sont devenus le miroir de nos existences.
Il y a peu, il fallait parler à quelqu’un, s’il était expansif, pour deviner ses humeurs, ses peurs, ses inquiétudes, ses états d’esprit. On scrutait son visage, on interprétait ses silences, on décodait ses soupirs. « Qui parle se découvre », dit-on dans un dicton sénégalais célèbre. Wax fen̈ !
Aujourd’hui, plus besoin de longues conversations, de confidences partagées à la faveur d’une promenade ou d’un thé prolongé. Il suffit d’aller jeter un coup d’œil sur les statuts WhatsApp ou Facebook pour entrer, parfois brutalement, dans l’intimité des gens. Là-bas, les cœurs se livrent à découvert. Les idées se révèlent. Les blessures trouvent une scène. C’est devenu le nouveau miroir des âmes.
Un statut, c’est une fenêtre entrouverte. On y lit les penchants politiques, les goûts culinaires, les occupations favorites, les rêves brisés ou encore les colères rentrées. Vous voulez savoir ? Ouvrez les statuts. C’est là-bas que l’on se parle. Que l’on se découvre. Que l’on règle ses comptes aussi.
Car le statut est bien plus qu’une simple image ou une phrase jetée au hasard. C’est un code. Une flèche lancée vers une cible précise, que celle-ci se reconnaisse sans que l’on ait besoin de prononcer son nom. Belle-famille trop envahissante ? Un proverbe tranchant posté en fin de soirée. Ami traître ? Une citation bien sentie de Machiavel. Amoureux décevant ? Une vidéo inspirante qui parle de “respect”. Coépouse indélicate ? Une chanson subtilement choisie. Dans ce théâtre virtuel, chacun règle ses comptes avec élégance ou cruauté. Les exemples ne manquent pas. Après la défaite d’une équipe adverse, les statuts regorgent de moqueries et de règlements de comptes entre supporters. Lorsqu’un mariage est annoncé, les cœurs brisés se réfugient dans des citations d’amour trahi. À la veille d’une élection, les slogans et discours recyclés défilent. Même la cuisine s’invite : un thiebou dieune triomphal ou une simple bouillie deviennent des messages codés.
Mais le statut n’est pas qu’une arme ni une vitrine d’ego. C’est aussi un lieu de mémoire et de célébration. On y rend hommage aux marabouts, aux morts, aux amis fidèles. On y expose des souvenirs d’un temps lointain, preuve qu’on n’oublie pas. Sportivement, on s’y chambre après chaque match. Religieusement, on y fait passer des zikrs. Politiquement, on y glisse un mot pour galvaniser ou provoquer. Et personne n’y échappe : influenceurs, hommes religieux, militants, fonctionnaires… Tout le monde est happé par ce nouvel espace.
Ce qui frappe, c’est l’efficacité du procédé. Nous savons très bien à qui nous parlons. Et surtout, nous savons qu’ils comprendront. Le statut n’est pas un message perdu dans l’océan : il est adressé à un cercle connu, limité à ceux dont on a le numéro. Pas d’intrus, pas de public anonyme. Seulement des “proches”, qui se reconnaissent immédiatement. Une communication ciblée, qui fait mouche.
Derrière l’apparente futilité se cache une petite révolution. Jadis, la discrétion était une valeur cardinale de nos sociétés.
On ne disait pas tout. On gardait ses rancunes pour soi. Aujourd’hui, les statuts ont brisé ce mur du silence. Ils sont devenus un journal intime à ciel ouvert, où chacun publie ce qu’il n’oserait dire à voix haute. Comme si nous étions condamnés à nous dévoiler, mais sans jamais oser l’aveu frontal.