Le clin d’œil est loin d’être fortuit. Au contraire, il est stratégique. Derrière le coup de gueule contre les États-Unis dans « l’affaire des visas », le beau discours du Premier ministre Ousmane Sonko à l’endroit de la Chine apparaît comme un nouveau cap dans les relations internationales que les nouvelles autorités veulent imprimer. Exit la France et les États-Unis, vive la Chine ! En effet, l’un des plus grands projets du régime actuel, à savoir « Les Autoroutes de l’eau », a été confié à une société chinoise. En octobre 2024, le Fonds souverain des investissements stratégiques (Fonsis) a officialisé la signature avec SinoHydro, une filiale du groupe Power-China. Donc, ce n’est pas pour rien que Cheikh Tidiane Dièye, ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, participe à la visite du chef du gouvernement sénégalais en Chine.
Dans un contexte de raréfaction des ressources financières, le Sénégal se tourne donc vers la Chine pour réussir ce grand transfert d’eau qui doit partir du Lac de Guiers pour approvisionner Dakar, Mbour, Thiès et Touba. Cette infrastructure stratégique fournira de l’eau potable, à près de 5 millions de personnes, dès sa mise en service, et 11 millions d’usagers, à l’horizon 2050. Avec des marges financières qui n’existent quasiment pas, de l’aveu du président de la République, le gouvernement sénégalais a demandé au Japon de lui accorder un prêt supplémentaire pour achever les chantiers de l’usine de dessalement de l’eau de mer des Mamelles. À noter que le coût du projet est de 158 milliards de FCfa dont 137 milliards de FCfa prêtés par « le Pays du soleil levant ».
Pendant ce temps, les besoins augmentent et les bailleurs ne sont pas légion pour financer le secteur de l’eau. Se tourner vers la Chine est un saut vers l’inconnu. Mais le Dragon est loin d’être un inconnu dans ce domaine. La Chine est un acteur majeur dans le domaine de l’hydraulique, notamment dans la production d’hydroélectricité et la gestion de l’eau. Le pays de Mao possède de nombreuses installations hydrauliques impressionnantes, dont le barrage des Trois Gorges, l’un des plus grands barrages du monde. De plus, « L’Empire du Milieu » utilise aussi l’hydraulique pour produire de l’électricité, gérer les ressources en eau et lutter contre les inondations, mais aussi pour l’irrigation et l’aquaculture. Justement, « Les Autoroutes de l’eau » vont permettre l’irrigation de plus de 12 000 hectares de terres agricoles.
En tous les cas, le Sénégal n’a plus de temps à perdre concernant ses choix dans le secteur de l’eau. En 2022, une étude de la Banque mondiale a alerté que le pays est exposé à un stress hydrique. En effet, dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès, communément appelé « le Grand Dakar » (80 % de la consommation d’eau potable dans les centres urbains), le schéma directeur de la Sones estime que les besoins en eau évolueraient d’environ 763.000 m3/jour en 2025 à 1.800.000 m3/jour en 2040 pour atteindre plus de 3.000.000 m3/jour en 2050. Il faut donc trouver des solutions. Tout de suite et maintenant.
Par ailleurs, ce choix vers la Chine rompt avec les options prises par l’État au cours de ces dernières années. Si SinoHydro est présente dans le projet des Mamelles dans le cadre de la sous-traitance, les entreprises chinoises étaient souvent sollicitées pour des infrastructures routières ou sportives. Même la future usine de dessalement dans la Grande Côte sera réalisée par les Saoudiens de Acwa Power. Dans les centres urbains, Sen’Eau, filiale du groupe français Suez, est aux manettes depuis le 1er janvier 2020 dans le cadre d’un contrat d’affermage de 15 ans avec la Sones, bras technique de l’État du Sénégal.
D’ici à octobre 2025, on devrait avoir les études finales pour passer à la réalisation des « Autoroutes de l’eau » à partir de 2026. Le projet sera réalisé en perspective de 2029 au plus tard et les quantités pour le réaliser ont été validées par la Commission permanente des eaux de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal. On aura ainsi les premiers jalons de la nouvelle dynamique sino-sénégalaise. Le début d’une ère ?
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