Écrire n’est plus un acte, c’est une posture. Le mot s’efface derrière l’image, la plume derrière la pose.
Le week-end dernier, un événement littéraire a davantage provoqué des sourires amusés que des élans de lecture. Le marabout politicien Cheikh Bara Doli Mbacké, connu pour ses sorties tonitruantes et la succulence de son propos, a enfin présenté l’ouvrage qu’il promettait depuis la fin du règne de Macky Sall : *Le Livre rouge : La partie visible de l’iceberg*.
La première partie du titre, déjà, intrigue. Elle évoque malgré elle d’autres œuvres du même nom : celui du psychanalyste suisse Carl Gustav Jung, plongée mystique dans les gouffres de l’âme ; celui de Mao Zedong, bréviaire révolutionnaire d’une Chine en marche. Mais ici, au Sénégal, ce Livre rouge ne descend ni dans les profondeurs de la psyché, ni dans les méandres de la pensée. Il se veut simple réplique au Livre blanc de «Benno Bokk Yaakaar», document fleuve célébrant les douze années de Macky Sall. Une réponse en couleur, une guerre de symboles, une revanche en images.
Sur le papier, le geste se veut politique. Dans la réalité, il tourne au comique. Car voilà un auteur qui ne lit pas dans la langue de son livre, un écrivain qui peine à prononcer le titre de son propre ouvrage. Lors de la dédicace, dans un grand hôtel de la place, les rires fusaient plus que les applaudissements. L’homme, sincère pourtant, tentait de lire quelques lignes, trébuchant sur chaque mot. Certains en riaient, d’autres en souriaient, gênés devant cette scène où la lettre devenait fardeau, où le livre semblait trahir celui qui le portait.
Il y a deux ans, il n’en montrait que la couverture : rouge, brillante, sans pages. Aujourd’hui, le livre existe, imprimé, relié, dédicacé. Miracle de la technologie ou œuvre d’un prête-plume ? Peu importe. Dans un pays où la parole suffit souvent à faire œuvre, la littérature devient parfois décor.
Car l’affaire dit beaucoup de notre époque : écrire n’est plus un acte, c’est une posture. Le titre d’« écrivain » se distribue comme une carte de visite. Après les faux docteurs et les diplômes achetés, voici les auteurs par procuration, les écrivains d’occasion, les conteurs d’un verbe qu’ils ne maîtrisent pas.
Hier, les puissants payaient des nègres littéraires ; aujourd’hui, on sollicite une intelligence artificielle. Demain, peut-être, il suffira de murmurer un rêve mal formulé pour qu’un logiciel le transforme en roman. L’important n’est plus de dire vrai, mais de signer vite.
Ainsi, écrire le livre qu’on ne peut pas lire devient la métaphore parfaite de notre temps : celui où l’apparence supplante la substance, où l’on veut briller sans comprendre, être sans savoir, publier sans lire. Et pendant que certains peinent à faire naître une ligne sincère, d’autres font commerce du simulacre.
À ce rythme, être écrivain ne sera bientôt plus une fierté mais un simple accessoire, comme tenir un livre sans savoir lire.



