Lors de sa première messe, le 9 mai, le nouveau pape, Léon XIV, a déploré le recul de la foi au profit « d’autres certitudes comme la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir ». Il faut dire que Robert Francis Prevost, de son vrai nom, hérite d’une Eglise en perte de vitesse en Europe et confrontée à de multiples défis, notamment la lutte contre la pédocriminalité et la baisse des vocations.
Premier pape américain de l’Histoire, il est décrit comme un « pape des deux mondes ». Né au Nord (à Chicago) mais enraciné au Sud (il a longtemps servi au Pérou), le nouveau souverain pontife débute son magistère dans un monde en crise. Il est tout à fait possible que les cardinaux qui l’ont élu aient tenu compte de la situation géopolitique actuelle. « C’est à la fois une opposition au gouvernement américain et la prise en considération des critères géopolitiques », analyse François Mabille, directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux et auteur du livre « Le Vatican : La papauté face à un monde en crise ». Les relations avec Washington seront particulièrement scrutées, alors que l’élection de Léon XIV est analysée par certains comme une prise de distance avec le nationalisme chrétien se développant aux Etats-Unis.
Plusieurs journaux italiens ont disserté après sa nomination sur l’un de ses célèbres précurseurs, Léon Ier le Grand, connu pour avoir convaincu par la seule force de ses paroles le conquérant Attila et ses hordes de faire demi-tour en 452 lors d’une rencontre à Mantoue (nord de l’Italie actuelle). Certains journalistes malicieux n’hésitent pas à faire un parallèle entre Attila et Donald Trump, tandis que selon eux Léon XIV jouerait le rôle de celui qui rentrerait (remettrait) dans le droit chemin l’imprévisible et disruptif président américain. S’il réussit dans cette hypothétique mission, il rendrait grandement service à l’humanité. Avec l’élection d’un pape américain s’ouvre une fenêtre d’espoir. De sa capacité à faire entendre raison aux grands de ce monde, Trump en particulier, dépend grandement la paix dans le monde. En effet, on l’oublie souvent, mais le pape est aussi un chef d’État et une autorité morale dont la voix porte, dans un contexte de conflits majeurs – Ukraine, Soudan, Gaza – de montée des populismes, de dangers liés au développement de l’intelligence artificielle et de crise écologique.
Léon XIV sera également attendu sur le dialogue avec l’islam, l’un des piliers du pontificat de son prédécesseur, François, mais aussi avec le judaïsme, alors que les relations avec Israël sont tendues depuis le début de la guerre entre l’État hébreu et le Hamas en octobre 2023. Face à la guerre d’extermination qu’Israël mène à Gaza, François était du bon côté de l’histoire. C’était un Juste. Il se souciait de la souffrance des civils innocents ; ce qui lui avait valu le respect de nombreux musulmans. Le monde n’attend pas moins de Léon XIV. La relation avec la Chine – avec laquelle le Saint-Siège a renouvelé un accord sur la nomination des évêques – et l’église orthodoxe russe de Moscou seront également déterminantes pour la paix dans le monde. Dans son premier discours après sa nomination, le 8 mai, Léon XIV s’est voulu rassembleur et rassurant, appelant à « construire des ponts » à travers « le dialogue » et à « aller de l’avant », « sans peur, unis, main dans la main avec Dieu et entre nous ».
Un message d’espoir dans un monde plus que jamais marqué par le retour au tribalisme. Il ne reste qu’à espérer, comme il l’a promis, que « le mal ne prévaudra pas ». Au-delà des questions géopolitiques, la plupart des observateurs s’accordent à voir dans le choix de « Léon XIV » comme nom de règne avant tout une référence à Léon XIII, dernier souverain pontife à porter ce nom avant le nouveau pape. Ce pape italien, qui a régné de 1878 à 1903, est surtout connu pour avoir dénoncé dans une encyclique « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce (…) qui impose ainsi un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires ». Aujourd’hui encore, la question de la justice sociale se pose avec acuité dans un monde sans solidarité. Les dérives de la mondialisation et l’irruption de l’intelligence artificielle sont en train de créer un nouveau type de prolétaires. seydou.ka@lesoleil.sn