La semaine dernière, des médias annonçaient la mort d’une influenceuse sénégalaise à la suite d’une intervention de chirurgie esthétique. Deux cent dix ans plus tôt, une autre Africaine mourait à Paris, après que son fessier eut attiré le regard pervers et indigne de milliers de spectateurs, dont celui d’un pseudo-scientifique obnubilé par ses formes généreuses.
C’est l’histoire de Sawtchie, devenue Saartjie, puis Sarah Baartman, mais plus connue sous le nom de la Vénus Hottentote. Née en 1789 à l’extrême sud de l’Afrique, elle est issue d’une mère Bochimane et d’un père Hottentot. Orpheline, elle travaille chez les colons boers, les colons hollandais, dans une condition mi-domestique, mi-esclave. Son employeur, Peter Caezar, la renomme Saartjie. À l’adolescence, elle développe une stéatopygie, une accumulation de graisse sur les fesses. Elle est ensuite cédée à Alexander Dunlop, un chirurgien de marine, qui l’emmène en Angleterre. Le 20 septembre, un journal londonien annonce son exposition à Piccadilly, sous le nom de « Vénus Hottentote ». Le spectacle suscite indignation et scandale : humiliée, déshabillée, Saartjie devient un objet de voyeurisme.
Une association humanitaire porte plainte, mais la jeune femme refuse de retourner en Afrique, espérant gagner sa liberté. Le tribunal interdit les exhibitions, mais elle continue à être exhibée clandestinement dans l’Angleterre profonde. Dunlop disparaît. Cependant, elle réapparaît, en 1814, à Paris. Une lettre propose son exposition au Muséum d’histoire naturelle. Très vite, elle est montrée au public, rue des Petits-Champs, puis rue Saint-Honoré, sous la direction d’un montreur d’animaux, Réaux. Elle a 25 ans. L’alcool et le désespoir la rongent. Georges Cuvier, éminent naturaliste, l’examine avec mépris. Il évoque son fessier, ses lèvres proéminentes, mais constate qu’elle cache le fameux « tablier », une hypertrophie des petites lèvres intimes, objet de fantasmes coloniaux. Frustré par la pudeur de Sarah, Cuvier dut remettre à plus tard l’observation de son entrejambe.
Quelques mois plus tard, durant l’hiver rigoureux de 1815 à Paris, Réaux dut interrompre les représentations de la « Vénus » : la malheureuse, affaiblie par la fièvre, vidée de ses dernières forces et de ses vieux rêves, succomba à la maladie. Le diagnostic évoque une pneumonie compliquée, peut-être une affection éruptive liée à la variole, voire une syphilis, le tout aggravé par l’abus d’alcool. Tel est, du moins, le constat établi le lendemain par un médecin légiste inattendu : Georges Cuvier lui-même. Au soir du 30 décembre 1815, vingt-quatre heures après la mort de Sarah Baartman, son corps est déposé sur la table de dissection du Muséum national d’histoire naturelle. Cuvier peut enfin satisfaire sa hâte : il examine ce qu’il appelle « l’appendice extraordinaire dont la nature a fait, disait-on, un attribut spécial de sa race ».
Il s’agit, explique-t-il dans son compte rendu, d’un développement des petites lèvres de la vulve. Le « naturaliste » fait ensuite réaliser un moulage complet du corps en plâtre. Puis, scalpel en main, il prélève le cerveau, la vulve, l’anus, conservés dans des bocaux de formol. Il procède enfin à l’extraction du squelette entier, qu’il reconstitue os par os. Ces éléments sont ensuite répartis : certains remis à l’Académie de médecine, d’autres exposés dans les galeries du Muséum. La souillure post mortem de son corps ne sera pas éternelle. Dès 1994, juste après la fin de l’apartheid, un mouvement soutenu par Nelson Mandela demanda à la France la restitution de la dépouille mortelle de Sawtchie à l’Afrique du Sud. Il faudra attendre le vote d’une loi en 2002 pour que la France accepte de rendre les restes de la Vénus Hottentote. Accueillie au Cap le 3 mai 2002, la dépouille est inhumée sur une colline, près de son village natal.
L’histoire dramatique de la Sénégalaise décédée en Turquie n’est pas comparable à celle, tout aussi tragique, de Sawtchie. Mais dans les deux cas, ce sont les regards sur les corps des femmes qui conduisent au drame. Dans ce qui nous reste comme héritage de l’Antiquité, on perçoit déjà les prémices de cette attirance qui conduit trop souvent à la souffrance. En effet, il n’est pas rare de retrouver les traits de femmes callipyges dans les recherches paléontologiques sur les cavernes..