Volumineuse, ondulée, sculptée, plaquée, colorée, audacieuse, bohème, dénudée ou totalement couverte… Leurs formes attirent et accélèrent les battements du cœur. Mais un débat contemporain subsiste, aussi long qu’une lemniscate infinie.
Que choisir ? Entre le raw hair, devenu le nec plus ultra, et aussi le plus cher, la ponytail, version moderne de la queue de cheval, qui offre un éventail de possibilités ; les différentes confections de perruques en vogue, ou encore les indémodables formes du nappy. Oui, je parle bien de coiffure. Et en cette veille de Tabaski et de Pentecôte, elles font fureur. Ce ne sont pas simplement des coquetteries : elles sont aussi essentielles que l’esperluette (&), ce signe qui relie (à la place du mot « et ») deux ensembles.
Comme la vinculum en mathématiques, qui sépare et regroupe à la fois, ici, les choix sont variés pour finir par n’en faire qu’un : la tignasse, le chignon, la toison, la postiche ou encore la crinière. Peut-être, chez l’homme, le fameux dégradé, le black de circonstance ou le « Ndel fondang », la boule à zéro d’Adama Ndiaye chantée par Omar Pène. Autant de coiffes qui charrient une profondeur à la hauteur de leur élévation. Le cheveu, c’est fun, c’est une identité, c’est aussi une idéologie. Certes, le sens ne doit pas remplacer le slogan, mais nous avons besoin de mots pour penser le monde.
Et pour cela, le sens doit gouverner le choix des mots, et non l’inverse. En définitive, dans plusieurs religions, en cette veille d’Aïd où les moutons ne sont pas en fête et de pèlerinage marial à Popenguine, le cheveu est ce qu’il y a de plus proche du divin, puisqu’il représente, pour certains croyants, le point le plus élevé du corps. Mystique, donc ! Il est également au cœur de tensions dialectiques qui fondent une pensée, un argumentaire, voire des preuves historiques.
Pour démontrer l’origine noire de l’Égypte antique, le professeur Cheikh Anta Diop analysait dans « Nations nègres et culture » (éd. Présence Africaine, 1954) qu’une simple observation pouvait confirmer l’affirmation d’Hérodote, selon laquelle les anciens Égyptiens avaient les cheveux crépus. L’historien sénégalais fondait son argumentaire sur la ressemblance entre « la coiffure artificielle des femmes » de l’Égypte ancienne et celles portées en Afrique noire.
Il écrivait : « On pourrait en effet se demander à juste titre pour quelles raisons une femme blanche, qui aurait une belle chevelure naturelle, masquerait celle-ci sous la coiffure grossière artificielle de l’Égyptienne. Il faudrait au contraire voir en celle-ci les soucis constants de la femme noire que le problème des cheveux a toujours préoccupée. » En effet, il est aisé de retrouver dans l’iconographie égyptienne, à côté des hiéroglyphes, des coiffures traditionnelles africaines. Il y a celles que les Wolofs appellent le Diéré ou le Djimbi. Pour en avoir le cheveu fin, je me tourne vers ma mère, éternelle porteuse de coiffures traditionnelles, dont la seule légitimité est, donc, tirée du vécu. Excusez du peu !
« La coiffure Diéré, explique d’emblée l’experte familiale, était réalisée avec du yoss. » C’est une fibre naturelle (laine ou végétale), teinte, tissée et façonnée avec les cheveux. Elle était utilisée pour les coiffures avant l’arrivée des mèches et autres greffages.
« Avec le yoss, on pouvait confectionner des Diéré en perruque, jalousement conservées dans les fameuses waxadé (les malles), ou dans les parties hautes des cases, selon les saisons, au cœur du Baol profond. La coiffure Djimbi, souvent ornée de perles, se composait de tresses entourant la tête et descendant sur le visage, la nuque et les côtés. Ces coiffes n’avaient pas qu’un objectif esthétique », poursuit-elle.
En effet, les coiffures traditionnelles africaines, tout comme la séance matinale du pilage du mil ou du maïs, étaient également un canal de communication. Elles permettaient de faire passer des messages à la famille du mari, à la coépouse, au voisinage ou même à la plus haute instance politique locale. Kocc Barma l’avait bien compris.
Maître dans l’art de la rhétorique en wolof, ce philosophe, penseur et poète du XVe siècle, dans le royaume du Cayor, utilisait la coiffure comme vecteur de messages. Mais l’analyse de ma chère mère serait-elle un peu tirée par les cheveux ? Je n’ose la contredire, en souvenir d’épisodes fâcheux du passé. Et puis, une chose est sûre : le cheveu parle. Les coiffures ne zozotent pas.
Elles n’ont aucun cheveu sur la langue. Elles disent beaucoup de celles et ceux qui les portent, de notre époque et des choix libres et pleinement assumés des uns et des autres. Contemplons-les, sans jugement. moussa.diop@lesoleil.sn