Interdire à des Sénégalais de fouler le sol américain ? Cela a déjà existé. Cette semaine, on a appris que cinq basketteuses internationales sénégalaises, ainsi que treize membres de leur staff, se sont vu refuser un visa pour se rendre aux États-Unis, où devait se dérouler une partie de leur préparation à l’Afrobasket 2025, prévu entre fin juillet et début août en Côte d’Ivoire.
Les populations originaires du Sénégal ont déjà connu ce type d’interdiction. Au XVIᵉ siècle, alors que le continent américain était sous domination espagnole, la Couronne ibérique interdit l’entrée sur le territoire américain aux musulmans africains, notamment les Wolofs, entre 1500 et 1550. Pourquoi ? Parce que les Espagnols craignaient que ces musulmans ne convertissent les populations locales. Mais aussi parce que les Noirs musulmans, en particulier les Wolofs, étaient perçus comme rebelles, arrogants et incorrigibles. En 1522, la première révolte d’esclaves dans le Nouveau Monde est d’ailleurs attribuée à des « Sénégalais », en République dominicaine. Ces esclaves, venus d’une région qui ne portait pas encore le nom de Sénégal, se sont insurgés sur une plantation appartenant au fils de Christophe Colomb.
La nouvelle provoqua un grand émoi dans les colonies. Selon l’historienne franco-sénégalaise Sylvianne Diouf, plusieurs décrets royaux espagnols du XVIᵉ siècle ont interdit l’entrée des Wolofs musulmans et d’autres groupes dans les colonies d’Amérique. Dès 1526, les autorités redoutaient leur influence religieuse et leur esprit de révolte. En 1543, un arrêté visait à empêcher la propagation de l’islam dans les « nouvelles terres ». L’éclatement de l’Empire du Djolof, en 1549, ne constitua pas une rupture dans le continuum de cette séquence historique. De nombreux Wolofs, faits prisonniers de guerre, furent vendus comme esclaves et envoyés dans les colonies espagnoles. Cependant, leur présence dans les futurs États-Unis interviendra un peu plus tard, à partir de 1619. Il est à noter que la révolte des esclaves musulmans ne débutait pas seulement à leur arrivée en Amérique. Elle se manifestait déjà sur les navires négriers. En effet, les Sénégambiens ne représentaient que 6 % des déportés, mais ils sont à l’origine de 23 % des révoltes documentées sur les bateaux.
En 1800, « les Noirs et Maures du Sénégal » réussirent à retourner à Saint-Louis à bord du Nepomuceno, un navire censé les emmener d’Uruguay au Pérou. Un épisode qui poussa le vice-roi du Pérou à réclamer un nouveau bannissement des musulmans, les accusant de « répandre des idées perverses » et d’être trop nombreux dans la région. Il est également important de signaler qu’il n’y a pas eu d’interdiction comparable dans les territoires qui deviendront les États-Unis. D’après Sylvianne Diouf, on estime que 400.000 Africains y ont été réduits en esclavage, contre 4,5 millions au Brésil. Parmi eux, 24 % venaient de la Sénégambie. Il est donc probable que les États-Unis aient accueilli, proportionnellement, l’une des plus fortes présences musulmanes venues d’Afrique de l’Ouest (notamment en Caroline du Sud, au Maryland et en Louisiane). Les contextes sont évidemment différents. Si les interdictions du XVIᵉ siècle ont pu être perçues, rétrospectivement, comme salutaires pour nos ancêtres privés de liberté, celles d’aujourd’hui, y compris le Muslim Ban de janvier 2017 (décret de Trump visant l’immigration musulmane, révoqué en 2021 par Biden), constituent des entorses aux droits sous couvert de motifs dits « sécuritaires ».
Une note du Département d’État américain indiquait, la semaine dernière, que les ressortissants sénégalais, ainsi que ceux de 24 autres pays africains, pourraient être interdits de séjour aux États-Unis pour des raisons de « sécurité nationale ». Concernant les Lionnes du basket, aucune explication officielle n’a encore été donnée par les autorités américaines pour justifier les refus de visa. Mais l’écho du passé reste troublant. Ce qui, hier comme aujourd’hui, interroge : jusqu’où peut aller l’exclusion au nom de la sécurité ? moussa.diop@lesoleil.sn