L’intelligence artificielle est partout. Dans nos téléphones, nos voitures, nos bureaux. On la consulte, on la sollicite, on s’en émerveille. On lui prête des talents d’écrivain, de médecin, d’artiste, de stratège. Elle compose de la musique, rédige des discours, prédit des maladies, automatise des tâches, dessine des paysages imaginaires. Chaque jour, elle progresse, apprend, s’affine. Un miracle technologique. Ou une malédiction ? À en croire ses promoteurs, l’IA est le nouveau bon Samaritain.
Elle nous débarrasse des corvées, nous facilite la vie, nous assiste avec bienveillance. Besoin d’un texte bien tourné ? D’un diagnostic rapide ? D’un conseil juridique ? L’IA est là, prête à dégainer une réponse en quelques secondes. Plus rapide, plus efficace, infaillible… en apparence. Car à force de l’encenser, on en oublie qu’elle n’a ni conscience, ni éthique, ni libre arbitre. Elle ne pense pas, elle calcule. Mais qui s’en soucie ? Les géants de la tech investissent des milliards pour la rendre encore plus performante, plus omniprésente. Gouvernements, entreprises, chercheurs rivalisent d’enthousiasme. L’IA est l’avenir, proclament-ils, et gare à ceux qui oseraient en douter. Un sceptique qui s’inquiète des dérives potentielles est immédiatement classé parmi les réfractaires au progrès. Il y a pourtant matière à s’interroger. Que devient la créativité quand on délègue tout à une machine ? Que reste-t-il du plaisir d’écrire si un algorithme peut composer un texte en quelques clics ?
Que vaut une œuvre d’art née d’un programme plutôt que d’un artiste ? L’IA ne se contente pas d’assister, elle remplace. Elle ne suggère plus, elle décide. Les médias s’en emparent pour générer des articles, les étudiants l’utilisent pour rédiger leurs dissertations, les entreprises s’en servent pour automatiser le recrutement. Progressivement, elle se substitue aux professions intellectuelles, sans bruit, sans révolte. Qui oserait s’indigner contre un outil aussi pratique, aussi brillant ? Mais il y a pire que la paresse qu’elle induit : la dépendance qu’elle crée. À force de se reposer sur l’IA, on oublie comment réfléchir par soi-même. On lui confie tout, y compris nos jugements, nos choix, nos décisions. Un Léviathan numérique s’installe, invisible mais omnipotent, façonnant notre monde sans que nous en ayons pleinement conscience.
L’IA peut-elle être une alliée plutôt qu’une menace ? Ses défenseurs assurent que oui. Grâce à elle, la médecine progresse, les tâches ingrates disparaissent, le savoir se démocratise. Elle permet d’explorer des mondes nouveaux, d’optimiser des ressources, d’inventer des solutions aux défis contemporains. Mais à quel prix ? Qui contrôle ces intelligences artificielles ? Qui décide de ce qu’elles apprennent, de ce qu’elles censurent, de ce qu’elles privilégient ? La promesse d’un monde plus intelligent cache un pouvoir concentré entre quelques mains, celles des multinationales qui possèdent ces technologies. Leur objectif n’est pas la philanthropie, mais le profit. L’IA, bon Samaritain ? Peut-être. Mais gare à ne pas se retrouver, demain, otages d’un outil que nous n’aurons pas su encadrer. Car le vrai danger n’est pas l’IA elle-même, mais la fascination aveugle qu’elle suscite. sidy.diop@lesoleil.sn