L’immunité parlementaire des députés de la Place Soweto est un sujet qui tient la dragée haute au pétrole de Sangomar, à l’or de Kédougou et au gaz de Saint-Louis. Une clameur à haut débit au cœur de l’espace public. Le convoi de ces justiciables peu ordinaires a obtenu le ticket pour la Haute Cour de Justice.
Dans le même convoi, la partie accusatrice a installé d’anciens ministres qui ne font pas partie de cette législature. Les huées et les vivats n’ont pas pu ramollir la détermination des nouvelles autorités et des députés de la majorité : envoyer devant cette juridiction les présumés auteurs de détournements de deniers publics, d’escroquerie, d’association de malfaiteurs, de fautes de gestion, entre autres. Les rôles changent. La démocratie a le secret du jeu de chaises musicales : ça va aujourd’hui dans un sens et ça revient demain dans un autre sens. Le député Guy Marius Sagna a rappelé cette loi des cycles au gré des verdicts du suffrage universel. Demain, au tour des actuels accusateurs de prendre sur le fauteuil des accusés d’aujourd’hui. Voilà qui suffit pour inviter les députés à voter, en leurs âme et conscience, la mise en accusation d’anciens ministres.
Le glaive de la Justice parle par la suite. L’immunité parlementaire est donc déchirée pour des députés ayant été ministres au moment des faits qui leur sont reprochés. Et ça parlemente pour une autre immunité, celle d’Azoura Fall, présentée en victime de la répression attribuée au pouvoir de Macky Sall par ses camarades de combat et par lui-même. Accusé d’avoir tiré à vue par une rafale de mots acerbes, Azoura Fall en garde-à-vue avant d’être déféré au Parquet et placé sous mandat de dépôt pour « discours contraire aux bonnes mœurs ». Ce sujet de droit n’est pas un sujet d’exégèse juridique pour moi. Le procès a commencé dans les médias comme dans les réseaux sociaux. Pour sa défense, les amis et sympathisants de sa cible le présentent en bourreau de l’honorabilité de l’ancien président de la République, Macky Sall. Les rigueurs de la vie carcérale, précisément une torture à l’extrême, auraient eu raison… de la raison de l’activiste. Un tableau d’apocalypse est dressé : debout pendant six mois la nuit, sans dormir, des troubles psychiques, des béquilles et un cœur lourd d’amertume.
Les misères d’un justicier pour ses camarades de combat ou le cynisme d’un insulteur public selon ses contempteurs. Sa santé mentale aurait fait les frais d’un dérèglement provoqué par l’acharnement contre sa personne. Une expertise médicale commanditée par ses avocats a permis de diagnostiquer un « trouble post-psychotraumatique » entrainant « une souffrance psychologique et des conséquences physiques. Il a été libéré en attendant la fin de son procès. La Justice montre bien qu’elle sait refuser au droit une coloration politique, même lorsqu’on s’en prend à un ancien chef de l’État dans un contexte où la météo politique trouve des nuages dans les relations entre les anciens et les nouveaux. A ce niveau, cette procédure contre l’activiste Azoura Fall est un avertissement à tous les agitateurs d’idées subversives ou carrément diffamatoires. L’activiste dit proche du pouvoir a été envoyé en prison avant son jugement en flagrants délits.
Demain, ceux qui vont dire des insanités contre les actuels tenants du pouvoir ne pourront pas invoquer un acharnement sur les vaincus pour justifier leurs propres outrages. Ils ne pourront que difficilement convoquer les plaintes ou incarcérations ciblées, les activistes supposés proches de l’opposition qui porteront atteinte à l’honorabilité de personnes incarnant actuellement les institutions, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre, Ousmane Sonko, etc. La Justice aura mis tout le monde sur un pied d’égalité. La bonne nouvelle de la semaine est qu’il n’y a pas d’impunité parcellaire. L’honorabilité d’honnêtes citoyens sera sauve, au-delà des lignes de démarcation politique. Le niveau d’ancrage de l’insulte dans notre quotidien est alarmant. L’insulte est comme une mauvaise herbe qui croît et avale les espaces de convivialité et de grande courtoisie. C’est l’arme secrète de justiciers autoproclamés dans leur grande colère.
Des justiciers qui trouvent leur légitimité dans les mutations enregistrées dans l’espace public devenu plus ouvert à la faveur des acquis démocratiques et de la libération de la parole publique à l’aide des réseaux sociaux par exemple. Azoura est de ceux qui ont acquis leur grade d’ancien combattant en défiant un ordre politique et social qu’ils ont pensé injuste sous Macky Sall. Il en porterait les stigmates. Une compassion militante sur son sacrifice patriotique soutient l’avis médical qui, en principe, ne se nourrit pas d’émotion. Hélas, le justicier adulé par ses camarades de combat est tout simplement un justiciable, même s’il est peu ordinaire. Il obtient une immunité d’un autre type, l’immunité sanitaire au moment où l’immunité parlementaire de députés est levée de la même manière qu’on déchire un voile d’inviolabilité. Le cycle de convocation ou d’arrestation d’activistes ou « chroniqueurs » alimente un débat de camps. La victimisation (activistes ou militants hostiles à la majorité comme Adama Fall) et la santé mentale défaillante (pour Azoura proche de l’actuelle majorité au pouvoir) sont convoquées. Une sorte d’immunité parlementée, dans une fièvre du parti-pris politique.