Tel un diable jailli d’une boîte cathodique, il est brusquement apparu dans le paysage médiatique. Comme par enchantement. Jusque-là, il était relativement anonyme, à la tête d’un parti politique peu connu au bataillon. Mais voilà qu’un beau jour, à la faveur d’une émission radiophonique matinale, il balance des propos tapageurs sur la coalition « Diomaye Président », à laquelle il appartient, et attaque frontalement Ousmane Sonko. Le reste ? Une mécanique médiatique bien huilée. En un éclair, le voilà devenu la coqueluche des plateaux. Toutes les télévisions se l’arrachent, toutes les web Tv veulent leur dose d’« Instant Bougar », comme si la lucarne avait trouvé son nouveau produit d’appel.
Peu importe que le discours soit répétitif, voire indigent parfois : ce qui compte, c’est que ça clique, que ça buzze, que ça brasse. Mais ce phénomène en dit long. Non pas sur ce politicien qui, flairant le bon filon, surfe sur la vague avec une aisance opportuniste, mais sur nos télévisions, des machines à fabriquer de la notoriété. Ce que des campagnes de terrain n’ont jamais offert à ce veinard, les caméras le lui offrent aujourd’hui sur un plateau d’argent : une exposition médiatique inespérée. Littéralement. Et lui, malin, n’est pas dupe. Il dose ses interventions. Il réserve une petite nouveauté pour chaque apparition : une phrase piquante de plus, une insinuation de travers. Il distille, il scénarise, il capitalise. L’objectif ? Maximiser les invitations, maintenir l’intérêt, exister dans l’espace public. On ne le lui reprochera pas : il saisit la perche qu’on lui tend. Qui est fou ? Dans ce pays, il n’y a que le buzz qui fasse effet. Alors, autant y surfer le plus longtemps possible.
Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment. Bougar Diouf est loin d’être un cas isolé. Au Sénégal, hier comme aujourd’hui, il suffit qu’un homme politique fasse défection, claque la porte de la majorité ou lâche une pique bien placée, pour qu’il devienne la star du moment. Le schéma est bien rodé : le dissident devient « la voix de la vérité », le paria devient « lanceur d’alerte », et les télévisions, à bout de souffle, s’agrippent à ce semblant de contenu comme à une bouée de sauvetage. Et si ce n’est un politicien sécessionniste, c’est un bateleur du genre de Ndiaye Dragon qui devient leur chouchou, à la faveur d’une billevesée.
Pauvreté abyssale de l’offre éditoriale. Manie de tourner en boucle sur les mêmes têtes, les mêmes débats, les mêmes clashs. Le symptôme est clair : nos télévisions sont à court d’idées. À défaut de proposer, elles amplifient. À défaut d’informer, elles divertissent. À défaut de filtrer, elles diffusent. Le manque d’inspiration est plus manifeste durant le Ramadan : mêmes plateaux, même heure, mêmes têtes d’affiche qui font le tour des télés. À chaque chaîne aussi, son sketch de Ramadan, aussi insipide qu’indigent. Bref, le vide programmatique est tel que tout ce qui fait du bruit devient de l’info.
Pour en revenir à notre ami politicien, dans un monde normal, ce genre de personnage aurait eu droit à un contrechamp critique, à une mise en contexte, à un débat contradictoire, histoire de mesurer sa consistance politique, avant d’en faire un acteur de premier plan. Dans une démocratie en construction, l’espace médiatique ne doit pas être un vaste marché du buzz où la polémique fait office de projet et l’audimat de ligne éditoriale. Hélas, le spectaculaire l’emporte sur le substantiel. Mais si les chaînes veulent rester crédibles – et ne pas être de simples relais de ressentiment -, il leur faudra oser autre chose : des formats de fond, des invités compétents, une pluralité de voix, une grille pensée et assumée.
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