C’est une contribution importante dans la documentation du phénomène de l’émigration clandestine et l’analyse de la dynamique pernicieuse du secteur de la pêche artisanale sénégalaise que représentent le rapport 2025 et le film documentaire réalisé avec l’appui déterminant de son bureau à Dakar par l’organisation non-gouvernementale internationale Environment justice fondation (la Fondation pour la justice environnementale Ejf).
Étayé par une enquête approfondie sur le et des témoignages d’acteurs et victimes de ce désastre recueillis par les experts au Sénégal et aux îles Canaries, le rapport d’Ejf qui ambitionne de donner « une image claire des défis auxquels est confrontée une nation où la pêche à petite échelle est à la base de l’économie côtière et de la sécurité alimentaire », analyse en profondeur les impacts environnementaux et socio-économiques croissants de l’augmentation de la pêche industrielle étrangère.
À en croire ce rapport, l’effondrement des stocks de la ressource halieutique et de la raréfaction du poisson qui en est l’aspect le plus saillant entraîne une augmentation des migrations forcées vers l’Europe par la route migratoire la plus meurtrière de la planète, qui a fait plus de 3.000 morts rien qu’en 2023. Facteur aggravant et symptôme à la fois des impacts nombreux de la surpêche et de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (Inn) sur le secteur de la pêche piroguière artisanale au Sénégal, l’émigration clandestine constitue un des plus gros risques pour notre société sur lesquels les professionnels de la pêche et les institutions de recherche ne cessent d’alerter depuis plus d’une décennie déjà. En cela, il est en phase avec ce que décriait la Coalition nationale pour une pêche durable (Conaped) et l’ensemble des organisations professionnelles membres qui, lors de la campagne électorale passée, ont attiré l’attention aux candidats à l’élection présidentielle de mars 2024 au Sénégal sur « l’aspect le plus inquiétant de ce phénomène qu’est la participation des femmes et des enfants à l’émigration irrégulière ».
Parmi les principaux facteurs incriminés comme causes directes de l’émigration clandestine, les chercheurs retiennent les deux phénomènes que sont : la précarisation de plus en plus grande des conditions de vie des communautés de pêcheurs artisanaux et la crise persistante du secteur de la pêche artisanale. L’enquête met ainsi dans la balance et soumet implicitement à discussion ce qui était analysé comme constituant les déterminants de la migration irrégulière des pêcheurs artisans sénégalais en évidence dans des enquêtes qualitatives de perceptions menées par les chercheurs Aliou Sall et Pierre Morand qui ont signé l’étude intitulée : « Pêche artisanale et émigration des jeunes africains par voie piroguière » (Politique africaine numéro 109, mars 2008).
Ces deux auteurs, socio-anthropologues spécialistes des communautés et cultures halieutiques de la côte atlantique du continent africain, suggèrent, en effet, que soient nuancées les hypothèses « d’une crise de la pêche artisanale qui pousserait les jeunes des communautés de pêcheurs à partir vers l’Europe » ; et celles d’une « activité de pêche restée trop archaïque qui ne serait plus à même d’offrir un avenir aux jeunes des pays côtiers ». Ou encore l’hypothèse selon laquelle « les ressources en poissons des côtes africaines, excessivement exploitées sont en voie d’épuisement, ce qui expliquerait que la pêche ne nourrit plus son homme ».
Les experts signataires de ce rapport tout comme le film qui en sert du support médiatique semblant plus être en adhérence avec la thèse défendue par El Hadji Bara Dème et Ngissaly Ndiaye, auteurs de l’article « La migration irrégulière des pêcheurs vers les côtes espagnoles : l’expression d’un secteur de la pêche artisanale sénégalaise en difficulté ? » (Sas Journal numéro 17(2) : 256-271) pour qui : « Face à une pression sociale forte et l’absence d’alternatives ajoutée à la représentation sociale d’une Europe perçue comme un eldorado, favorisée par le retour de migrants nantis, la migration irrégulière se présente ainsi aux yeux des pêcheurs comme la seule issue pour réussir dans la vie et s’inscrire dans une dynamique d’épargner et de se réaliser (surtout venir en soutien à sa famille). Ainsi, les entrevues avec les pêcheurs montrent qu’ils migrent non pas par choix, mais par désespoir ».