La récente « guerre des 12 jours » entre Israël et l’Iran constitue l’ultime illustration des traumatismes qui s’enchevêtrent au Moyen-Orient depuis la création de l’État hébreu. L’Europe et les États-Unis instrumentalisent les tourments de leur propre histoire avec les Juifs, pour en faire un moyen d’influence internationale. Cette créance morale, celle de l’Holocauste, est évidemment spécifique à l’Europe. Le reste du monde a été totalement étranger à ce judéocide.
Il est donc normal que les Palestiniens et les peuples arabes voisins, mais aussi l’Afrique subsaharienne, qui n’y ont pas été partie prenante, ne puissent en accepter la logique ou l’intégrer dans leur propre mémoire historique. « En réalité, ce n’est donc pas tant un conflit de civilisation qui fait du Moyen-Orient une zone de tempêtes, mais un ensemble de traumatismes historiques européens qui cherchent un exutoire et que les États-Unis et Israël, étroitement alliés, mettent en œuvre par la force militaire crue », écrit l’économiste et historien Georges Corm dans son ouvrage intitulé « L’Europe et le mythe de l’Occident : La construction d’une histoire » (La Découverte, 2009, 314 p.).
À son avis, l’Europe politique, totalement minorée par ce qui lui est arrivé au XXe siècle, délègue à ces deux États – qui lui doivent leur existence – le soin d’apaiser au Moyen-Orient les chocs profonds de son histoire, culminant dans le génocide des communautés juives européennes sous le régime nazi. Mais c’est aux États-Unis que le récit eschatologique d’un retour des Juifs sur la terre des origines, que l’appui à Israël et ses conquêtes est particulièrement sans faille, car plongeant ses racines dans une large couche des milieux populaires avec les communautés évangéliques.
Leur perception du conflit israélo-palestinien trouve son fondement dans l’anthropologie politique des monothéismes. Cette vision considère la religion musulmane comme étant intellectuellement étrangère aux deux autres monothéismes, judaïsme et christianisme, ou d’une nature fondamentalement différente, justifiant ainsi l’exclusion de l’islam de manière virulente dans la culture européenne, « comme si l’islam était un enfant monstrueux, malformé, un bâtard qu’il est impossible de reconnaître et d’adopter dans la famille monothéiste ». Pourtant, il convient de rappeler que, comme l’a souligné le sociologue catholique français Louis Massignon, le texte coranique est avant tout un appel à la réconciliation avec l’ancêtre commun, Abraham.
L’islamophobie a remplacé aujourd’hui la judéophobie ancienne dans la culture politique dominante de l’espace occidental. Cette posture pseudo-morale et pseudo-philosophique entraine en réaction des crispations et postures inverses, s’appuyant sur des valeurs dites « islamiques » au Moyen-Orient dont se nourrit le régime iranien et tous ceux qui appellent aujourd’hui à la destruction d’Israël. Parallèlement au fondamentalisme musulman, le judaïsme est pris en otage par la politique israélienne et les soutiens massifs dont elle jouit en Europe, notamment de la part d’une extrême droite en quête de « normalisation », mais surtout chez les évangélistes américains qui rêvent du « Grand Israël ».
De son côté, le sionisme, en se focalisant sur l’histoire malheureuse et tragique du judaïsme en Europe, a occulté la riche histoire des nombreuses communautés juives du sud de l’Europe et d’Orient, en particulier celle des Juifs d’Espagne réfugiés pour la plupart dans les pays musulmans méditerranéens à la suite de leur expulsion lors de la Reconquista, mais aussi celle des Juifs de souche du Maghreb et des autres pays arabes, communautés dont la vie fut beaucoup plus paisible que celle de leurs coreligionnaires en Europe.
Dans cette imbrication de traumatismes et de mémoires blessées, comment sortir de l’impasse et de la guerre perpétuelle ? À mon avis, la seule issue, c’est le dialogue des trois monothéismes. Un dialogue sincère et respectueux qui devrait déboucher sur la reconnaissance des droits des Palestiniens. Tel devrait être, dans ma compréhension, le sens des accords d’Abraham… C’est là la clé pour une paix durable au Moyen-Orient et de façon générale entre le monde musulman et l’Occident. seydou.ka@lesoleil.sn