Il souffle un vent nouveau sur le continent africain. Un vent d’affirmation, parfois houleux, souvent salutaire. Le mot est revenu à la mode, il gronde dans les discours, se glisse dans les tribunes, s’invite jusque dans les programmes politiques : le souverainisme. Non pas celui étriqué, qui rime avec xénophobie et replis d’ombre, mais une forme neuve, ardente, tournée vers la reconquête de soi.
Longtemps, l’Afrique a donné l’impression d’avancer en récitant des leçons dictées par d’autres. Comme si, affranchie juridiquement, elle n’avait jamais complètement retrouvé la parole pleine. « Nous avons obtenu l’indépendance, mais pas la souveraineté », disait déjà Frantz Fanon, dans un souffle tragique et lucide. En d’autres termes : nous avons les emblèmes, mais pas la liberté d’action. Les hymnes, mais pas la voix. Combien de décennies avons-nous passé à obéir à la lettre des programmes dits d’ajustement, à remplir à l’encre noire les conditionnalités d’organisations qui prétendaient nous aider à marcher droit, alors qu’elles nous forçaient à ramper ?
Le Fmi, la Banque mondiale, les agences de notation… tous ces totems lointains ont agi comme des metteurs en scène austères d’un théâtre du développement sans âme. Même nos silences semblaient traduits par d’autres. Et que dire des grandes puissances, qui ont poursuivi, derrière le masque de la coopération, une stratégie d’influence qui a souvent confondu intérêt général et intérêts privés ? La France y a laissé traîner ses entreprises, la Chine y a déposé ses ponts, ses routes, et son appétit d’espace.
Quant à nos dirigeants, ils ont trop souvent plié sous les injonctions extérieures, convaincus que la modernité ne pouvait venir que de l’importation. Mais voilà que l’Afrique, par la grâce d’une nouvelle génération, commence à relever la tête. On voit poindre, dans les discours officiels et les pratiques locales, une volonté d’assumer son propre tempo. Ce n’est pas un rejet du monde. Ce n’est pas une querelle avec la modernité. C’est une déclaration d’indépendance mentale. Ce n’est pas un rejet de l’universel, c’est un appel à la dignité.
Le souverainisme africain nouveau est une manière d’habiter l’avenir sans béquilles. Il ne prône ni l’autarcie ni l’isolationnisme, mais le droit fondamental de choisir son chemin, ses partenaires, ses priorités. Comme l’écrivait Aimé Césaire : « Il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme soit terminée. Que nous n’ayons rien à faire au monde. Que nous soyons les parasites de ce monde. Qu’il suffit de nous calfeutrer dans la non-action. » Finie, la posture passive. L’Afrique veut écrire, non subir. L’Afrique ne veut plus seulement être écoutée ; elle veut être entendue. Et pour cela, il faut d’abord s’écouter soi-même. Cela suppose de repenser nos modèles éducatifs, nos politiques industrielles, notre souveraineté alimentaire, notre place dans la mondialisation. Cela exige de désapprendre les automatismes du mimétisme.
Prenons l’exemple de l’économie : combien de plans nationaux de développement sont encore calibrés selon des matrices venues d’ailleurs ? Combien de jeunes start-up peinent à éclore parce que les institutions de financement refusent de croire à leur génie local ? Et dans le domaine monétaire, combien de débats étouffés sur la dépendance au franc Cfa, ce vestige monétaire d’un lien qu’on dit amical mais qui bride notre autonomie ? Bien sûr, le chemin est semé d’embûches. Car dans un monde interconnecté, aucune nation ne peut prospérer seule. Mais encore faut-il choisir ses interconnexions, et non les subir. Il ne s’agit pas de brûler les ponts, mais de construire ceux qui mènent à nos intérêts. C’est cela, le souverainisme de saison : un art de la lucidité.
Il y a chez cette jeunesse africaine qui bouscule, qui proteste, qui propose, une forme de clairvoyance réjouissante. Elle a compris que l’identité n’est pas un musée, que la tradition n’est pas une camisole, et que le développement ne doit plus être une copie servile du modèle occidental. Elle veut une croissance endogène, une pensée autonome, un État stratège, non client. Alors oui, ce retour à la souveraineté fait grincer des dents. Il agace ceux qui préféraient un continent docile, subventionnable et silencieux.
Mais comme le disait Nietzsche : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. » À force d’avoir été ligotée dans l’aide, l’Afrique se muscle dans l’autonomie. Et dans ce monde où les équilibres changent, où les puissances basculent, il est grand temps que l’Afrique parle d’égal à égal. Non pas avec fracas, mais avec force. Avec une voix qui ne tremble plus. Une voix qui dit : je suis là, et je pense par moi-même.
Sidy DIOP