Pour nommer la visite de la chance à ses heureux élus, les personnes d’un certain esprit parlent du train qui repasse. Comme pour le but en or, il faut transformer l’essai. Une opportunité à ne pas rater ! L’expression nous change de l’image d’une personne plantée sur le quai alors que les wagons du bonheur s’ébranlent vers des terres lointaines. Quand le coup manqué survient, cela nous rappelle bien que la vie est une roue. Cette roue tourne pour s’arrêter aux portes de la fortune de la même manière qu’elle peut rester coincée dans les fers de l’infortune. La chance et le sourire sont une question de cycle, n’est-ce pas ? Pas fataliste du tout, je dis souvent que le jour succède à la nuit et que la nuit succède au jour. Quelle que soit l’ampleur de la difficulté dans la nuit noire des désillusions, la porte du jour s’ouvrira avec ses belles opportunités de renouveau. Difficile, cependant, de promettre le soleil à un homme reclus dans le noir du désespoir. C’est simple : le train de problèmes est le chat noir des déçus de la vie. Le train de solutions se fait rare, selon les esprits torturés par les échecs répétés aux portes de la gloire et de la quiétude.
Et pourtant, le train repasse dans nos gares en cette fête de la Tabaski ! Les wagons sont portés par les Grands Trains du Sénégal, pour des prévisions de 3000 voyageurs sur les axes Dakar-Tivaouane et Dakar-Mbacké.
L’initiative est circonscrite dans le temps. Cependant, elle doit inspirer les décideurs sur une réhabilitation de ce moyen de transport. Et sur la durée !
C’est un très court souffle de jeunesse pour nos gares désertées par cette vie que les wagons leur insufflaient jadis. Les villes en tiraient profit : Tivaouane, Ndande, Kébémer, Louga ou encore Saint-Louis d’une part et, d’autre part, Diourbel, Gossas, Guinguinéo, Kaolack, Koungheul, Koumpentoum, Koussanar et Tamba. Elles doivent encore en tirer profit, dans l’ambiance générale d’un commerce florissant, d’un petit commerce qui tire d’affaire les budgets poids plume ou encore de la connaissance du pays.
Un petit bonheur à portée de cœur et de main, d’un wagon à un terroir tendant les bras au voyageur, cet autre soi qui passe. Des instants furtifs certes, mais qui durent une éternité dans la mémoire des témoins.
Le train était également le temps des rires francs et des sentiments non corrompus par l’envie et/ou stress. Pont d’humanisme. Le temps de « salimto », ce chef-d’œuvre poétique porté en chanson à la radio, à 12 heures tapantes. Le déjeuner avait une heure quasi-sacrée.
C’était le temps où, dans l’ambiance bigarrée du marché Thiaroye, les trains venant de Saint-Louis et Kaolack dynamisaient les activités commerciales grâce à leurs ballots de marchandises. Le temps où l’on raccompagnait les cousins ou cousines rentrant de leurs grandes vacances après s’être ressourcés dans la grande demeure du patriarche.
Le quai n’était pas la scène du lâchage sec ou du reniement. Il était le jardin d’une nostalgie grandissante aussitôt que les wagons s’étiraient pour finir par se fondre dans l’horizon. Puis, il y a eu le silence, les roues en acier ne se frottant plus aux rails pour porter les lourdes cargaisons à destination.
Encore de petites villes qui se meurent. Une économie locale à la peine. Nous attendions tous que le train repassât. Une si longue attente, après des accès d’espoir créés par le Petit train Bleu devenu le Petit train de Banlieue. Le Ptb était le bijou local à la hauteur de nos ambitions d’économie engluée dans les coupes budgétaires des différents programmes d’ajustement structurel. Il avait son peuple, ce train aux couleurs bleu-blanc.
Un peuple gai, voyageant à bon marché malgré la poussière qui envahit les rames vers l’ancienne Seras et les indélicatesses des bandes de récalcitrants polluant l’intérieur au « ginz » (diluant cellulosique inhalé) ou trônant sur les toits. Une ambiance colorée. Ici, une tirade d’un vendeur de babioles ; là, la science d’un spécialiste des plantes médicinales à la posologie approximative. Ça rembobine les actualités du matin et les rumeurs du soir.
Ça se lance des défis sur la dernière affiche de lutte traditionnelle. Des analystes se lâchant dans la bonhommie créée par cette cohabitation dans les rames à des tickets bon marché. Le Ptb aura été le Ter du siècle dernier.
Sans luxe mais avec une joie de vivre contagieuse. Ce n’étaient pas les rames importées et fabriquées selon des standards hyper-côtés. L’imagination de Sénégalais a permis de recycler des rames, de créer une nouvelle charte graphique sommaire et de pratiquer des prix populaires. Après les gares de ses différents trajets, le train a fait les gares des différents redressements sous plusieurs noms de baptême.
L’ancienne Société nationale des Chemins de fer du Sénégal (Sncs) a eu ses héritières : les Chemins de fer du Sénégal (Cfs), Dakar-Bamako ferroviaire (Dbf) et, maintenant, les Grands Trains du Sénégal (Gts).
Les combinaisons s’enchaînent, laissant toujours croire que les résultats suivront. Tantôt, ce sont les rails à grand écartement. Tantôt, ce sont les rails à dimension standard. Ici, c’est Dakar-Bamako qui renaît de ses cendres ; là, c’est Dakar-Djibouti en ligne ouest-est de l’Afrique.
Des laboratoires d’idées sortent des plans de remise à flot qui ne mènent pas encore à la gare du renouveau. Les deux petits trajets campent peut-être le décor du nouveau train. Ni naïf ni blasé, je me suis fait une raison ! Dans la vie comme sur les rails, il n’y a pas de raison de désespérer.
Le train repassera. Et lorsqu’il sifflera, il faudra être sur le quai avec, dans son baluchon de voyageur, les vertus de patience en complément à celles d’engagement au travail et de probité morale et intellectuelle. Oui, la vie est un train d’espérances !