Cette chronique m’a été inspirée par le titre d’un roman qui m’a marqué : Les oiseaux se cachent pour mourir, de l’écrivaine australienne Colleen McCullough. Même si l’intrigue de son œuvre n’a rien à voir avec mon propos, ce titre, à lui seul, porte une vérité universelle : toute vie contient son mystère et sa fin. Il y a, dans chaque berceau, un petit cercueil invisible qui attend. La mort ne nous suit pas : elle marche à nos côtés, depuis le premier souffle, invisible, mais fidèle, comme une ombre qu’aucune lumière ne peut effacer. Selon certaines traditions, Dieu l’aurait façonnée avant même la vie. Pourtant, nous nous y accrochons comme un naufragé à sa planche, comme si la serrer plus fort pouvait retarder l’inévitable.
Même dans la misère la plus âpre, rares sont ceux qui préfèrent le silence de la tombe au tumulte des jours. Car vivre, c’est avoir prise sur l’instant. Lorsque les vents contraires se lèvent, nous cherchons un appui dans la foi, la philosophie ou l’espérance. Le Coran ne nous souffle-t-il pas : « À côté de la difficulté est, certes, la facilité » ? Wolof Ndiaye nous rappelle : « Qui patiente goûtera aux délices » — Kou mun̈, muun̈ ! Tandis que Bob Marley, euphorique, promet : « Everything will be all right ».
La vie, ce sont les visages aimés, les complicités, les habitudes qui façonnent nos jours. Nous oublions que tout est provisoire. Nous bâtissons et rêvons comme si nous avions signé un bail éternel sur cette terre. Et pourtant, nos jours sont comptés. La mort reste un mystère que nul vivant n’a percé. Implacable, elle passe de l’un à l’autre comme une torche invisible dans une course dont l’arrivée est certaine. Nous savons que nous mourrons — c’est la seule certitude de notre avenir — mais le jour, l’heure, le lieu nous sont cachés comme un secret jalousement gardé. Quand un décès nous frappe, nous nous recueillons, prions, ressassons un sourire, une parole, des rêves brisés. L’odeur d’un parfum, une chanson, une photo suffisent à réveiller la présence de celui qui n’est plus. Puis, une fois la terre refermée et les condoléances échangées, l’oubli commence son œuvre.
Non pas l’oubli de l’amour, mais celui qui relègue le défunt dans une chambre plus silencieuse de notre mémoire. Ce n’est pas trahison : le Créateur a mis l’oubli dans nos cœurs pour que nous puissions continuer à marcher jusqu’à notre tour.
Et ce jour viendra. Jeunes ou vieux, puissants ou anonymes, nous rejoindrons la longue procession où se confondent rois et mendiants. Un professeur de collège nous avait laissé cette image, après la mort d’un camarade : la vie est comme une file en marche, où l’un des marcheurs tombe régulièrement.
Certains s’arrêtent, jettent un coup d’œil, hochent la tête et repartent. La majorité, elle, continue sans même remarquer la chute. Un ami d’enfance, que j’aime citer tant ses réflexions sont profondes, me dit souvent, avec ce mélange d’ironie et de gravité qui lui est propre :
— « Bro, Dieu ne nous a créés que pour le plaisir de nous tuer ».