La mode sénégalaise tient une dynamique stupéfiante. Le regain fascine jusqu’aux sceptiques. Au défilé Africa Up de la Fashion Week de Paris, le passage des créations de la maison de couture Al Gueye Dakar avec sa collection Deunk, le jeudi dernier aux Galeries Lafayette, est édifiant.
Les spectateurs de ce prestigieux podium mondial de la mode ne regardaient pas que des coutures. Ils avaient là le privilège de voir une culture en mouvement, un art insufflé de l’esprit des origines. Lahad Gueye, cohérent dans son circuit d’excellence et de génie de la matière, a exposé 7 pièces en pagne deunk, intégralement cousues dans ses ateliers dakarois par des maîtres tisserands sénégalais. C’est un hommage au cycle de la vie à travers le seurou deunk, qui accompagne le Sénégalais le long de son existence. Il enveloppe le nouveau-né et le cadavre, couvre le marié et le circoncis, autant qu’il habille aux rendez-vous du quotidien. C’est aussi une promenade dans l’urbanité de Dakar, avec les métiers à tisser qui décor(ai)ent harmonieusement les coins de rue, en rendant compte d’un savoir-faire séculaire, articulé par des mains de différents âges, dans un mouvement véloce et soigneux. Abdou Lahad Gueye était invité à relever le podium, avec notamment Collé Sow Ardo, gourelle du pagne tissé et icône du stylisme avec 4 décennies de carrière.
Au-delà de la dédicace à la création africaine, qui a fantastiquement brillé au pop-up store Africa Now (ouvert jusqu’au 8 juillet), c’était un flatteur baisemain au génie sénégalais. Marième Gaye, cofondatrice de Néné Yaya, qui a son stand au pop-up, informe que les designers sénégalais ont épuisé leurs stocks en seulement… 2 jours, et ont fait venir d’autres articles. Omettons même le chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, arborant avec grâce, à Séville pour la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, les « costumes africains » sur mesure, dont il a fini par donner son nom au modèle trois-pièces. Dans cette même semaine dernière, nombre de compatriotes ont découvert Sarah Diouf, fondatrice et directrice artistique de l’enseigne Tongoro, qui a réalisé la tenue de la chanteuse américaine Beyonce portée samedi dernier, pour le premier concert à Houston de sa fabuleuse tournée mondiale, Cowboy Carter Tour. C’est un Suède Cowboy Chaps réalisé avec 444 cauris et 44 cristaux, fait à la main à Dakar. Lancée en 2016, Tongoro s’approvisionne exclusivement en matériaux en Afrique et travaille avec des tailleurs locaux.
Elle a le but de créer une dynamique nouvelle pour la fabrication africaine en favorisant le développement économique et social des artisans. Mayï Creativies, lancé par Maïmouna Dembélé Back-again, est parfaitement dans cet élan. Ce concept store est un espace d’idées et de culture qui englobe la mode, l’art, la musique, le design et bien plus encore. Les produits qu’elle présente sont intégralement fabriqués à la main, à partir de métal recyclé et de matériaux durables. C’est une vitrine de notre patrimoine et notre culture, avec le crédo « porter africain » et booster les artistes et artisans locaux. On pourrait épiloguer autant sur Nunu Design avec sa signature indigo, sur Milcos qui fait marcher le courant avec ses chaussures customisées NioFar, sur Selly Raby Kane qui a habillé le duo Daara J Family dans le clip « Cosaan » (qui porte notre propos), ou encore Maguette Gueye de Magci Dakar et de La Penderie de Maam qui déploie le vêtement sénégalais authentique, entre bien d’autres. Nos talents ont le vent en poupe. Ils habillent joliment les figures de proue. Il ne reste qu’à disposer de nos propres navires.
L’industrie n’est pas encore une réalité, hélas. Le fashion curator et designer Xalil Cissé évoquait l’anomalie sur ces lignes, il y a deux ans, après le défilé de Chanel à Dakar et dans la perspective de la Galerie 19M. « Une industrie ne se décrète pas. Ce sont des investissements lourds que seul un État peut aider à supporter. Il faut une industrie textile, un programme de formation aux métiers, la disponibilité des matières premières, entre autres. Au Sénégal, même la petite aiguille est importée. Mais, en termes de techniques, on a la matière grise », défendait l’ambassadeur et acteur majeur du Made in Sénégal. Outre l’État, de grands investisseurs peuvent apporter du bon souffle. C’est d’ailleurs en partie au gré d’une convention avec la Sfi-Banque mondiale pour l’expansion et la structuration de sa marque que Lahad Gueye étale aussi librement et certainement son talent. Ce plateau, ce marché, ce rouleau d’excellence, ces ressources, cette sérénité, et le fait de déconstruire de l’idée populaire du superflu cramponné à cet art, nous permettront d’affirmer un soft power. mamadououmar.kamara@lesoleil.sn