En ce siècle — comme dans les deux précédents — l’acte créateur a offert aux identités un souffle nouveau, plus franc, plus libre, plus proche des masses.
L’art, comme voie de révélation, touche des cœurs en quête de lumière, ceux-là mêmes que la politique et le militantisme pur avaient laissés dans l’ombre, faute de langage sensible. Là où l’engagement peinait à éveiller, les arts sont venus ouvrir les consciences. Par la grâce d’une image, d’une mélodie, d’une scène, l’affirmation de soi a trouvé son théâtre. Le cinéma, cette école du soir, et la musique, ce maître permanent, ont su porter un message profond, habillé d’une beauté formelle qui attire l’œil autant qu’elle captive l’esprit. Il suffisait alors de toucher au populaire pour embraser les imaginaires. C’est là toute l’intuition de Sembène Ousmane. D’abord écrivain engagé — auteur de Le Mandat ou Xala, où s’exprime une fibre socialiste vibrante — il choisit à 40 ans le cinéma, cet outil plus direct, pour parler à un peuple majoritairement analphabète.
Pour lui, « le livre était devenu un luxe ». Alors, il fait des films-mémoires, des manifestes en images, où s’élaborent une pensée révolutionnaire et un désir ardent de libération. Son langage est celui du peuple : brut, local, sans fard. Il est aussi celui du symbole, comme ce masque muet de Diouana qui hante La Noire de…, plane au-dessus des mots et parle plus fort que les dialogues. Sembène avait saisi que filmer, ce n’était pas simplement divertir. Tout comme Sam Cooke, qui comprit que le temps des divertissements creux était révolu, que l’heure n’était plus à chanter pendant que Rome — ou la Louisiane — brûle. Marqué par le meurtre d’Emmett Till (1955) et l’exploitation raciste de la musique noire, Cooke se politise, lit Baldwin, se rapproche des Black Panthers. En 1963, il écrit A Change Is Gonna Come, hymne d’une Amérique en devenir, qu’il n’entendra jamais résonner dans les rues : il est assassiné l’année suivante, à 33 ans. Pourtant, il aura allumé l’étincelle.
Au Sénégal, Seydina Insa Wade fait écho à cette même révolte dans « Afrik » (1978), chanson poignante inspirée par la mort suspecte d’Omar Blondin Diop en prison. Censurée à sa sortie, l’œuvre vaut l’exil à son auteur. Au début des années 1980, le groupe Jiwu Mbañ, ancêtre du Jàmm Jazz, donne voix au Front culturel sénégalais, notamment avec le duo Tama de Rufisque. Même si leur notoriété ne rivalise pas avec celle de Youssou Ndour (Nelson Mandela, Africa Vol. 9 Deubeub), Thione Seck (Apartheid, Man Mi Nioul), le Super Diamono (Nkrumah, Cheikh Anta Diop) ou Cheikh Lô qui, dans « Ne La Thiass », interprète un texte du philosophe Assane Sylla — toutes ces voix ont tenté, avec noblesse, de relier le peuple à ses luttes, ses figures tutélaires et son besoin d’émancipation. Aujourd’hui encore, cette mission artistique résonne.
Si Black Panther : Wakanda Forever (2022) évoque fièrement les symboles noirs, Sinners (2025) les célèbre. Mais là où le blockbuster suggère, Alune Wade affirme. Son album New African Orleans et surtout son documentaire Tukki : Des Racines au Bayou — présenté ce soir en avant-première au Pathé Dakar — incarnent une mémoire vivante. Il y retrace la route de la traite, raconte comment la culture africaine s’est transmise, hybridée, puis offerte au monde sous une forme neuve, transcontinentale. Alune Wade chante les origines comme on prie les ancêtres. Il dresse un pont, une passerelle d’âmes, et nous rappelle que l’art peut consoler, instruire, guérir, unir. C’est ce devoir de témoignage, ce feu intérieur, que l’on attend encore aujourd’hui de celles et ceux qui prennent la parole sous les projecteurs, au-delà du divertissement, loin des paillettes — loin du ndaat saay et des refrains creux du Motema.. mamadououmar.kamara@lesoleil.sn