Le développement fulgurant de la technologie fait beaucoup réfléchir sur nos conditions, actualités et perspectives. L’Africain, en interrogeant l’intelligence artificielle par exemple, se rend de mieux en mieux compte qu’elle lui sert des réponses erronées loin de son fait idéologique, de son geste social, et de son état culturel. Le narratif original africain est quasi invisibilisé. Les réponses viennent aux Africains avec le lexique de l’Occident, trahissant la persistance d’une domination qui ne fait que changer de couleurs et de formes. Les réponses qu’on donne à notre compte ne correspondent pas à nos réels. Elles n’atteignent pas nos sensibilités ou, du moins, les touchent avec un caractère pervertissant. L’intelligence artificielle, avec une claire évidence, nous révèle que les histoires et cultures d’Afrique ont une part fondamentalement insignifiante dans les contenus.
Ainsi, l’un des principaux enjeux du moment pour le continent est la bataille du contenu. À l’occasion du 1er Salon international des médias d’Afrique qui se poursuit jusqu’à demain, l’urgence de gagner cette bataille du contenu a été largement évoquée. L’écrivain Nafissatou Diouf Dia le soulignait récemment, à l’occasion de la 4e édition du Salon du livre féminin de Dakar. Elle soutenait que l’intelligence artificielle n’étant qu’un outil technologique qui ne sert que ce qu’il n’a auparavant reçu, les Africains doivent l’alimenter avec leurs propres pensées et propriétés identitaires, au risque d’être dans la même logique de bibliothèque coloniale (popularisée par le Congolais Valentin Yves Mudimbé). La bibliothèque coloniale désigne l’ensemble des textes et savoirs produits en Occident qui décrivent, représentent et construisent l’Afrique et les Africains dans un contexte de colonisation. Aujourd’hui, on pourrait croire à une bibliothèque néocoloniale, dans ce contexte de mutation technologique accélérée. L’urgence est signalée : reprendre le contrôle de nos propres récits. Il devient impératif de se raconter au monde et à nous-mêmes Africains par nos propres codes identitaires, avec nos langues locales et nos histoires. Les médias sont les principaux supports contenants qu’ils soient traditionnels, modernes, sociaux. Donc, les journalistes, artistes, producteurs et créateurs de contenu doivent être aux avant-postes. Cependant, ces acteurs doivent, comme le rappelle Mamadou Diagne (président de la Convention des jeunes reporters du Sénégal), maîtriser les outils numériques et les formats modernes de narration. Mais encore, pensons-nous, au-delà de ces attentions techniques, il y a l’imprégnation culturelle.
«La plus secrète mémoire des hommes» est une belle illustration qu’il faut de la culture ancrée, du talent, de la qualité et de l’originalité pour gagner sa place au concert de l’universel. Mohamed Mbougar Sarr, en remportant au gré de son génie littéraire, le prix Goncourt 2021, a présenté au monde, l’une des plus éloquentes façons qui soient, nos identités et nos imaginaires. Le jeune écrivain l’a réussi parce qu’excellemment allaité aux mamelles de ses racines et parfaitement éveillé aux générosités de l’altérité. Enracinement, ouverture et perspicacité. Voilà le savant mariage qu’il faut réussir pour gagner voix au chapitre des puissances. Tel que l’avait brillamment réussi l’autre Africain universel célébré, avant hier par la République, Amadou Mahtar Mbow (1921-1924). Emblématique Directeur de l’Unesco (1974-1987), Mbow s’est particulièrement distingué en promouvant le Nouvel ordre mondial pour l’information et la communication (Nomic). Ce programme consistait en un échange équitable entre le Nord et le Tiers-Monde, dans le traitement et le contenu des informations. C’était une critique et une offensive contre la domination occidentale par les médias ; initiative qui lui valut l’acharnement des puissances du monde qui avaient compris qu’on essayait de leur retirer leur arme la plus destructive. Wole Soyinka dira qu’Amadou Mahtar Mbow a «rétabli la dignité de l’Afrique dans ce concert des nations du monde par la parité». C’est aujourd’hui d’une telle offensive d’envergure, avec plus de conviction et de clinicité, dont l’Afrique a besoin. Surtout que des entreprises de presse étrangères, telle que France Médias Monde (France, Rfi et TV5) sous tutelle des ministères et des Affaires étrangères et de la Culture, renforcent leur présence sur le continent et diffusent majoritairement dans nos langues. Cette France qu’on chasse par la porte et qui revient par la fenêtre …
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