Le continent africain se trouve à la croisée des chemins. Alors que la quatrième révolution industrielle, portée par l’intelligence artificielle (IA), redessine l’économie mondiale, l’Afrique risque, par son attentisme, de se condamner à un rôle de simple consommatrice de technologies plutôt que d’actrice souveraine. L’Union européenne dispose de son IA Act, les États-Unis investissent massivement, la Chine trace sa voie. Face à cette tectonique numérique, l’Afrique ne peut plus se contenter d’assister au match : elle doit entrer sur le terrain, définir ses règles et mobiliser ses talents. L’IA est déjà présente dans la Fintech, la Medtech et l’AgriTech africaines. Pourtant, son déploiement s’opère souvent dans un vide réglementaire ou sous des cadres nationaux disparates. Ce manque d’harmonisation expose le continent à deux périls majeurs. Le premier est celui de la souveraineté des données. Les modèles d’IA, nourris par les données des citoyens et des économies africaines, sont fréquemment développés et hébergés hors du continent. Ainsi, la richesse algorithmique et le pouvoir de décision échappent au contrôle africain.
Le second danger réside dans les biais algorithmiques. Des systèmes conçus en Occident, formés sur des données qui ne reflètent pas la diversité démographique, linguistique ou culturelle de l’Afrique, risquent d’amplifier les inégalités. Un algorithme de crédit qui pénalise des zones rurales faute de données, ou un outil médical incapable de reconnaître des symptômes sur des peaux noires, ne sont pas seulement inefficaces : ils deviennent discriminatoires.
L’inertie n’est plus une option. L’Union africaine (UA) a marqué un tournant avec l’adoption, en 2024, de la Stratégie continentale d’intelligence artificielle et du Pacte numérique africain. Ces textes posent les fondations d’une vision panafricaine pour une IA éthique, au service du développement et de la protection des identités culturelles. Mais une stratégie n’a de valeur que si elle se traduit en lois concrètes et contraignantes. L’Afrique a désormais besoin de son propre Africa AI Act.
Ce cadre ne doit pas être une simple copie du modèle européen, centré sur la réduction des risques. Il doit être proactif et incitatif, en définissant une classification claire des risques et des “bacs à sable réglementaires” favorisant l’expérimentation. Surtout, il doit harmoniser les législations pour créer un marché unique de l’IA, où une solution conçue à Lagos puisse être déployée du Caire à Johannesburg. C’est à ce prix que le continent attirera les investissements et verra émerger des champions technologiques panafricains.
Cependant, la législation ne suffira pas. La véritable souveraineté numérique réside dans la maîtrise humaine. L’Afrique, continent jeune, doit offrir à sa jeunesse l’accès aux infrastructures et aux formations de pointe nécessaires pour concevoir, développer et posséder la technologie. L’UA doit piloter une stratégie d’investissement autour de trois piliers : l’éducation, le financement et l’infrastructure.
Cela passe par la création de pôles d’excellence en data science, d’un Fonds d’innovation panafricain pour soutenir les startups de l’IA liées à l’Agenda 2063, et par la modernisation des réseaux et de l’énergie afin de garantir un accès équitable à l’Internet et à l’électricité.
L’Afrique doit cesser d’être le terreau fertile des données pour devenir l’atelier de l’innovation et le laboratoire éthique de l’IA mondiale. En élaborant un cadre protecteur et ambitieux, et en investissant dans son capital humain, le continent peut non seulement rattraper son retard, mais aussi définir un modèle d’intelligence artificielle plus humain, inclusif et équitable. L’heure n’est plus à la délibération, mais à la concrétisation : le destin algorithmique de l’Afrique est entre nos mains.
cheikh.tidiane.ndiaye@lesoleil.sn

