Dans une salle d’embarquement de l’aéroport de Sabha, au sud de la Libye, s’est jouée une scène qui dépasse les frontières du réel et ébranle les certitudes des cœurs les plus endurcis. Un jeune homme, Amir al-Mahdi Mansour Al-Gaddafi, a été empêché d’embarquer pour le Hajj, le grand pèlerinage à La Mecque, en raison d’un problème administratif. Mais il ne s’est pas effondré. Il ne s’est ni plaint ni révolté.
Il a proclamé sa « niyyah », cette intention sincère qui, en islam, précède toute action spirituelle : « Je ne quitterai pas cet endroit à moins que ce ne soit vers le Hajj », a-t-il déclaré, droit dans ses sandales, face aux agents, à l’injustice, et peut-être à l’oubli. Ce qui s’est produit ensuite appartient à ce que certains appellent le miracle, et que d’autres reconnaîtront comme le fruit d’une foi inébranlable. Deux fois, l’avion censé transporter les pèlerins, sans Amir, fut contraint de revenir à cause d’incidents techniques. Deux fois, la technologie, symbole de notre toute-puissance moderne, s’est heurtée à l’invisible. Puis, la troisième fois, le commandant de bord prit la parole au micro, ému : « Par Allah, je ne décollerai pas sans Amir à bord. »
Ce fut dit. Ce fut fait. Amir monta dans l’avion, acclamé par les agents de l’aéroport, et l’appareil put enfin décoller avec à son bord un homme porté non par la chance, mais par la foi. La scène, filmée, a enflammé les réseaux sociaux. Des millions d’internautes, en Libye, dans le monde arabe et au-delà, ont été bouleversés par cette leçon de patience et de détermination.
Car au-delà de l’anecdote, c’est une véritable parabole spirituelle qui s’est incarnée : « Ce qu’Allah a écrit adviendra, nul ne peut l’empêcher. » Mais ce récit va bien plus loin qu’un simple fait divers édifiant. C’est une alerte, une interpellation pour tous les peuples — et surtout pour nous, Sénégalais. Dans ce pays où réussir attire souvent la suspicion, où progresser seul dérange, où la jalousie est parfois institutionnalisée, l’histoire d’Amir est un miroir. Elle nous enseigne que la fidélité aux valeurs, la patience et l’honnêteté finissent toujours par triompher, malgré les retards, les blocages et les trahisons.
Ici, combien de personnes brûlent les étapes, croyant forcer le destin, trichant, manipulant, bravant toute éthique dans la course au succès ? Combien tombent parce qu’ils ont voulu grimper trop vite, sans humilité ni préparation ? Et combien, hélas, se réjouissent de voir chuter celui qui tente de s’élever par la voie droite ? Dans notre société secouée par la perte de repères, où la réussite semble parfois être un privilège réservé à ceux qui contournent les règles, Amir nous rappelle que la destinée se mérite, et qu’elle ne se force pas. Elle se construit, patiemment, dans la cohérence, la foi et la droiture. Et quand elle arrive, elle ne fait pas de bruit : elle se pose, comme un avion enfin prêt à décoller.
Ce jeune Libyen, inconnu la veille, est devenu un symbole universel. Non parce qu’il s’est insurgé, ni parce qu’il a utilisé des passe-droits. Mais parce qu’il a incarné l’essence même de la foi : une conviction tranquille que rien, ni un nom, ni une barrière, ni un refus, ne peut éteindre ce que le destin a prévu. Oui, cette histoire doit être racontée dans nos écoles, dans nos mosquées, dans nos maisons. Elle doit être méditée par notre jeunesse, trop souvent séduite par l’urgence du gain rapide.
Elle doit interpeller nos décideurs, afin qu’ils se souviennent que tout pouvoir est relatif face à la volonté divine. Elle doit, enfin, inspirer chacun d’entre nous. Car, au fond, nous devons tous être des Amir. Parce qu’en vérité, si c’est écrit pour toi, aucune force ne pourra t’en priver. Même pas un avion déjà dans les airs.
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