La coquetterie des convictions vestimentaires n’a d’égale que l’engagement militant du choix de l’habit. Oui, aussi vraie que soit l’histoire, faite d’incompréhensions et de stèles gigantesques, l’habit ne fait pas toujours le moine, mais il renvoie souvent au patrimoine. L’apparat est unique, et ne ment pas sur la vision du monde.
Le 13 mai 2025, le décès de José « Pepe » Mujica, ancien président de l’Uruguay (2010-2015) et figure emblématique de la gauche latino-américaine, a rappelé combien l’habit peut être politique. Refusant de porter la cravate, Mujica partageait cette conviction avec le Líder Máximo Castro, fidèle pourfendeur du costume occidental. Quelques jours plus tôt, la photographie de la poignée de main entre Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso, en tenue militaire, et Vladimir Poutine, à l’occasion du 80e anniversaire de la victoire russe sur l’Allemagne Nazie, renforçait l’idée que le choix du vêtement n’est jamais anodin. Ainsi, le keffieh de Yasser Arafat symbolise le peuple palestinien, dont les cris de liberté ne sont pas une insulte, mais un appel.
Il partage le même rayon que le béret du Che Guevara, dont l’iconographie abondante continue de séduire. Il en va de même des chemises légendaires de Nelson Mandela, ce « héros éternel », comme le titrait Le Soleil du vendredi 6 décembre 2013, au lendemain de son décès, avec un sourire aussi captivant qu’un lièvre pris dans les phares d’une voiture sur une piste sablonneuse, quelque part entre les villages du Baol. Ce même Madiba, en tenue bariolée, tente, un dimanche 4 mai 1997, de sauver ce qui peut encore l’être du destin du Zaïre, à la veille de devenir la République démocratique du Congo, en réunissant Mobutu et Laurent-Désiré Kabila. Le vieux « Léopard », fidèle à sa garde-robe, arbore une tenue évoquant son animal fétiche. Rongé par la maladie, il s’éteindra quelques mois plus tard. Sur le plan politique, les années de règne de l’autoproclamé « citoyen président fondateur » sont marquées par la polémique, avec une gouvernance souvent qualifiée de dictatoriale.
Mais Mobutu fait aussi partie des premiers dirigeants africains à mettre en place une doctrine vestimentaire, pour se démarquer du système capitaliste occidental, avec l’abacost (« à bas le costume »). Ce veston d’homme, généralement sans col et à manches courtes, symbolisait le rejet de la culture coloniale. Il fut imposé dans le Zaïre de Mobutu durant les décennies 1970 et 1980. En face de lui, Kabila père se distingue lui aussi par sa tenue : une saharienne militaire, manière d’affirmer son rôle de chef de guerre. À la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (Afdl), il mène un mouvement rebelle dont la progression, à 100 kilomètres de Kinshasa, semble inexorable. Près de 28 ans après la disparition de Mobutu, le vêtement continue de symboliser une vision, voire une doctrine politique, dans un monde où les aspirations ne se lèvent plus nécessairement en direction de l’Occident.
Ainsi, à l’heure de la fin déclarée de la Françafrique et des revendications souverainistes, l’uniforme militaire constitue la norme dans l’Alliance des États du Sahel (Aes, composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger). Il fait également figure de mode en Guinée, sous le général Doumbouya, même s’il est souvent concurrencé par des tenues traditionnelles. Et elles font fureur plus que les fourrures dans le pays de la Teranga. À l’ombre du baobab, le duo formé par le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko, a fait bouger le curseur du pourcentage de tenues traditionnelles portées par l’exécutif sénégalais depuis 1960.
C’est devenu l’une de leurs marques. Mêlant tradition et modernité, leurs tenues, vestons avec pantalons et versions contemporaines de ce que l’on appelait jadis le « Tourki Ndiarème », donnent naissance à un modèle revisité parfois appelé « Sohaibou ». C’est « une sorte de renaissance stylistique », comme l’avait si bien nommé le jeune et très talentueux journaliste du Soleil, Adama Ndiaye, dans un article intitulé « Quand la mode sénégalaise habille la souveraineté ». Si la cravate, d’origine croate, est devenue un apparat occidental avant d’être adoptée dans le monde entier, le « Tourki Ndiarème », d’inspiration turque, et le « Khaftane », déformation du caftan aux origines perses, ont, quant à eux, été adaptés aux réalités sénégalaises pour mieux s’inscrire dans l’air du temps. moussa.diop@lesoleil.sn