L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle générative, incarnée par des outils comme ChatGPT, rebat les cartes de l’éducation mondiale. Au Sénégal, où l’État a clairement affiché son ambition d’intégrer l’IA dans le système éducatif, cette transformation devient stratégique.
L’IA n’est plus un sujet de laboratoire : elle est déjà un acteur dans les salles de classe, un assistant pour l’apprentissage, et un défi pour les modes d’évaluation traditionnels. Face à une machine capable de rédiger une dissertation ou de résoudre un exercice en quelques secondes, l’école sénégalaise n’a plus à choisir entre modernisation et statu quo : elle doit évoluer pour rester pertinente et inclusive. Le système éducatif sénégalais a longtemps reposé sur la mémorisation, la dissertation classique et l’évaluation écrite. Or, ce sont précisément les domaines où l’IA excelle. La réforme à venir doit donc valoriser des compétences profondément humaines : esprit critique, discernement, raisonnement logique. Le prompt engineering — l’art de poser la bonne question pour obtenir une réponse fiable — pourrait devenir une compétence clé dans l’enseignement secondaire comme supérieur. L’interdisciplinarité devient aussi un levier majeur.
L’IA fournit des données, des exemples, des pistes ; à l’élève d’y apporter une touche personnelle, culturelle, citoyenne. Les projets transversaux mêlant sciences, histoire, environnement ou entrepreneuriat remplaceront progressivement les devoirs reproductibles. Pour un pays où les disparités éducatives persistent entre zones urbaines et rurales, l’IA représente une opportunité sans précédent. Elle peut offrir un tutorat personnalisé à grande échelle, proposer des exercices adaptés au niveau de chaque élève, expliquer un concept en wolof, en français, ou dans une langue nationale si nécessaire. Pour les enseignants, l’IA devient un assistant efficace : production rapide de supports de cours, génération de quiz, mise à jour des contenus en fonction des évolutions scientifiques ou technologiques. Elle libère du temps pour l’accompagnement humain, indispensable dans un système encore confronté au surnombre et au manque de ressources pédagogiques. La question de la fraude via l’IA impose une refonte des évaluations, notamment dans un pays où les examens nationaux (BFEM, Bac) jouent un rôle décisif. Le retour des évaluations orales, des présentations et des projets défendus devant un jury devient un outil pertinent pour mesurer le raisonnement plutôt que le résultat.
Le Sénégal pourrait aussi expérimenter des évaluations qui autorisent l’usage de l’IA, mais demandent une analyse ou une prise de position que la machine ne peut pas fournir. Exemple : analyser une problématique locale (agriculture, climat, mobilité, santé), proposer trois solutions, et expliquer pourquoi l’IA n’a pas su en identifier certaines. En parallèle, une véritable éducation à la citoyenneté numérique devient urgente : apprendre à vérifier les sources, à reconnaître les hallucinations d’un modèle, à éviter le plagiat automatisé, et à adopter une posture responsable face à ces technologies. Dans cette transition, l’enseignant sénégalais n’est pas déclassé : il est au contraire au cœur du changement. Sa mission se transforme : il devient un guide critique, un médiateur technologique, un mentor capable d’apprendre aux élèves à collaborer intelligemment avec l’IA.
Cela nécessite une formation solide, inscrite dans les réformes de l’État, et un accompagnement continu pour intégrer ces outils dans la pédagogie quotidienne. L’intégration de l’IA dans l’éducation sénégalaise n’est pas une menace, mais une chance unique d’accélérer la modernisation du système, de réduire les inégalités scolaires et de former une génération d’apprenants capables de maîtriser les outils du XXIe siècle. L’enjeu n’est pas d’abandonner les dissertations ou les savoirs fondamentaux, mais d’y ajouter une nouvelle dimension : l’esprit critique, la créativité, la capacité à dialoguer avec la machine. Le Sénégal est à l’aube d’une école augmentée, où l’humain et l’IA avancent ensemble pour bâtir une société plus compétente, plus innovante et plus éclairée.
cheikh.tidiane.ndiaye@lesoleil.sn

