«Je n’insisterai pas sur certaines campagnes à caractère ouvertement raciste, qui allaient jusqu’à affubler l’Unesco du sobriquet injurieux de Négresco », s’indignait Amadou-Makhtar Mbow, sur les insultes dont il fut la cible, au cours d’une interview exclusive accordée au Soleil à Monrovia, en marge du seizième sommet de l’Oua. Nous sommes fin juillet 1979. Élu directeur général de l’Unesco depuis un peu plus de quatre ans plus tôt, la question d’un second mandat se pose. Le premier du premier africain à la tête d’une institution internationale ne plaisait pas à tous. Le deuxième éveille en un peu plus de rancœurs et de rancunes. Les États africains, eux, profitent de leur rencontre au Liberia pour sceller un pacte : tous derrière Mbow, le Sénégalais, l’Africain. Son identité et son identité dérangent. Et ce n’est pas nouveau. En faisant fi de ces attaques hostiles qui constituaient une menace sérieuse, tant sur le plan intellectuel qu’administratif, il fallait à Amadou Makhtar Mbow, dès sa prise de fonction, attirer l’attention sur les défis internes auxquels faisait face l’Unesco. À son arrivée à sa tête, l’Unesco traversait l’une des plus graves crises de son histoire.
En plus de ce contexte défavorable, une vaste campagne était alors menée, notamment auprès des intellectuels et des artistes d’Amérique du Nord et d’Europe, pour les inciter à boycotter l’institution. Certains États membres, et non des moindres, avaient même décidé de suspendre totalement ou partiellement le versement de leurs contributions au budget de l’Organisation. Mais en quatre ans, l’ancien ministre sénégalais de l’Éducation nationale avait réussi la prouesse de changer les choses. Dès le début de son mandat, il entreprit une analyse approfondie du fonctionnement des structures et engagea une réforme en profondeur destinée à améliorer l’efficacité du Secrétariat et à garantir une plus grande transparence dans l’ensemble de ses actions. C’est comme s’il avait deviné les futures accusations. Et mieux, s’ajouta l’élaboration d’un plan à moyen terme, fondé sur une analyse rigoureuse des problématiques mondiales et sur des objectifs clairement définis. Ce plan fut unanimement adopté par la 19e session de la Conférence générale, tenue à Nairobi en 1976.
Tous ses efforts finirent par porter leurs fruits. Ainsi, la tempête se dissipa progressivement, et les prédictions d’un éclatement de l’Unesco furent reléguées au rang de chimères. « À cet égard, je tiens à redire qu’aucune pression, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la nature, ne doit détourner l’Organisation de ses objectifs fondamentaux. Sans cela, elle perdrait tout simplement sa raison d’être », aimait-il rappeler.
De cette ambiance aux relents délétères, le point le plus nauséabond fut atteint en juillet 1979. Un journal français publia un article virulent contre Amadou Makhtar Mbow, alors Directeur général de l’Unesco. Face à ces attaques, Mbow fit preuve d’un grand calme et refusa toute polémique, estimant que les auteurs avaient peut-être été « trompés de bonne foi ». En revanche, le personnel de l’Unesco réagit vivement, dénonçant un article mensonger, calomnieux et empreint de racisme et de nostalgie colonialiste, visant à discréditer l’Organisation et son dirigeant sénégalais.
Tentative vaine. Amadou Makhtar Mbow a été célébré ce mardi par la nation sénégalaise qu’il appelait affectueusement « mon peuple ». Le premier africain à être à la tête d’une institution onusienne en 1974 a marqué son époque en étant exemplaire pour devenir « un homme universel », une fierté pour l’humanité. moussadiop@lesoleil.sn

