Un rapport du Timbuktu Institute intitulé « Menace du Jnim dans la zone des trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal » et publié hier suscite, depuis quelques heures, l’attention de la presse étrangère, échaudée il est vrai par la perspective de voir les djihadistes du Sahel réaliser leur vieux rêve : atteindre les pays du littoral Atlantique.
Mais aussi par notre statut de pays indemne d’attentats terroristes, alors que les évènements sanglants de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire (2016) sont encore frais dans les mémoires, et que le Togo et le Bénin sont de plus en butte à des attaques dans leur septentrion. Jnim est l’acronyme pour désigner la « Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin », une organisation djihadiste salafiste du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest formée par la fusion d’Ansar Dine, du Front de libération du Macina, d’al-Mourabitoun et de la branche saharienne d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Un hebdomadaire parisien se demandait hier si « le Sénégal est-il dans le viseur du Jnim ». Question qui tombe sous le sens. Depuis une bonne dizaine d’années en effet, l’appareil sécuritaire sénégalais a les yeux rivés vers l’Est sans oublier le reste… En substance, le rapport indique que l’organisation terroriste cherche à étendre son influence au Sénégal et à la Mauritanie depuis ses bases dans le sud-ouest du Mali, dans la région de Kayes. Sa stratégie est double : harceler les forces de sécurité et s’infiltrer économiquement (exploitation forestière, trafic de bétail, contrebande).
Selon « Timbuktu Institue », le Sénégal présente « des facteurs de vulnérabilité » que le Jnim peut exploiter, notamment « une frontière poreuse, un déficit de prise de conscience des enjeux sécuritaires au niveau de la population, des défis socio-économiques pressants et la propagation du salafisme en tant que matrice idéologique ». Si la frontière du Sénégal avec le Mali est déjà largement exploitée par les contrebandiers et sa géographie rend sa sécurisation plus difficile, le rapport souligne toutefois qu’une partie importante de la population des régions menacées par l’expansion du Jnim ne considère pas le groupe comme une menace immédiate. Le document insiste sur « le contexte sociologique » de cette région et souligne que le chômage reste élevé dans ces régions. Elle pointe « les systèmes de castes » dans la zone de Bakel qui perpétuent « les inégalités et autres injustices dues à la stigmatisation de communautés entières ». Les chercheurs avertissent que les idéologues salafistes ont utilisé ces griefs pour influencer les croyances religieuses des individus, les rendant potentiellement plus réceptifs à l’extrémisme violent en brandissant l’offre d’une « théologie de la libération » par rapport à l’islam traditionnel dont les acteurs ne condamnent pas suffisamment le système des castes.
« Le Sénégal oriental pourrait être vulnérable à ces idéologies, car le soufisme n’y est pas aussi répandu que dans le reste du pays », lit-on dans le rapport. Les stratégies d’infiltration de ces organisations sont bien connues maintenant. Dans le cas qui nous concerne, elles cherchent à éviter l’affrontement direct avec les armées (notamment sénégalaise). Leur méthode est de saper l’autorité de l’État en contrôlant l’économie locale et en se posant en « protecteur des populations marginalisées ». Et, bien sûr, elles utilisent des réseaux ethniques transfrontaliers pour la logistique et le recrutement. Alors, quelle parade ? L’armée sénégalaise développe depuis quelques mois une nouvelle forme de communication, adressée surtout dans les réseaux sociaux. On perçoit de nouvelles dynamiques dans les régions de Tambacounda et de Kédougou, dans la poche de la Falémé et le sud-est du pays. Ces menaces ne sont pas nouvelles.
Si la réputation des militaires sénégalais s’est bâtie sur des récits autour de leurs opérations ici et à l’étranger, de leurs héritages, de leur discipline et de leur professionnalisme, un autre volet de leurs compétences, moins connues, est mis à contribution : le renseignement et la prospective, deux thèmes qui clignotent sur les tableaux de bord des états-majors confrontés au djihadisme. Le rapport de « Timbuktu Institute » n’est pas exempt de critiques. D’abord, il campe un cadre spatial qu’il n’arrive pas à documenter. Il pointe certes la tri-jonction dans la zone des trois frontières, mais les activités du Jnim jusque-là observées ont eu lieu au Mali. En termes de projection, il est évident que le but visé peut être le Sénégal, mais les mesures préventives sont en train d’être prises chez nous. Ensuite, le document n’arrive pas à lier les éléments constitutifs du djihadisme en un tout sécuritaire ; il dissocie les parties et c’est la meilleure façon de ne pas trouver une parade à l’avancée des terroristes du Jnim. En tout cas, le Sénégal, jusqu’ici préservé, a compris qu’anticiper vaut mieux que trembler… samboudian.kamara@lesoleil.sn